Le jaune de Veurne est assorti au rouge de Boom dans l’épure inquiétante d’un bâtiment de briques où logent « des hommes que l’infortune accable ».
On voit bien que ce n’est pas l’enfer du château de Gérard le Diable où, à Gand, les pauvres fous sont restés enchaînés de 1656 à 1828. Ici, peut-être, on ne dort pas sur la paille, mais ces fenêtres plein cintre sous un pinacle qui pèse n’ont pas non plus l’architecture d’un paradis. On déraisonne devant l’anthologie de formes néoromanes, néogothiques et néo-Renaissance qui inspirent souvent à la littérature des cabossés de cas bossus. Rien n’est gai aux abords de l’hospice ; pourtant, si lourd que puisse être le ciel dans ce coin de Belgique, rayonnent dans ses jardins le calme et la sérénité. Il faut passer les grilles pour comprendre que l’endroit est construit à l’envers, précisément au sud où il renoue toujours avec un peu de soleil. Il faut s’y promener pour apprécier le prix du parfum de ses fleurs ou, comme l’a souhaité son auteur : la fraîcheur de l’air, le bruissement des feuilles, la caresse du vent – et pour des temps moins bons, le brouillard et la neige. Drôle de tranquillité pour un projet si grave.
Joseph Guislain, comme le rappelle l’historien de l’art Eddy Muyllaert, est « médecin par état, architecte par goût ». Lorsque le conseil municipal gantois, fort éclairé en la matière, décide en 1851 de construire une nouvelle maison pour aliénés scientifiquement justifiée, c’est lui qui donne ses directives. Il « tire deux carrés oblongs en manière de croix » et fait bâtir par l’architecte de la ville un établissement de campagne, sans luxe mais sans barreaux. Les fenêtres de fer, aux airs décoratifs, font panser la lumière sur les tourments des résidents.
Aussi bon qu’ait pu être le docteur, le musée, qui occupe aujourd’hui la plupart des espaces de l’hospice, montre des reliques troublantes. Pour les profanes en psychiatrie, le progrès qu’a pu représenter cet institut modèle pèse peu dans la balance des sentiments. C’est tout le bâtiment qui fait le funambule entre le pire et le meilleur. Derrière telle porte, on trouve une « baignoire de soins » où il se peut qu’on ait laissé croupir des malheureux ; derrière telle autre, en juin, on peut voir des travaux d’Avedon, de Wim Delvoye et de Ronald Ophuis qui charrient depuis la collection Francès une belle exposition sur l’excès, la souffrance, la violence, les désirs et les peurs. Rien de mieux qu’un musée accouché d’une maison de fous pour dire aux hommes, même mal nés, que rien d’humain ne leur est étranger.
« XXH », la collection Francès au Musée Dr. Guislain, du 22 juin au 6 octobre 2013.
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Le Musée Dr. Guislain
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Abonnez-vous dès 1 €Jozef Guislainstraat 43, 9000 Gand, Belgique. www.museumdrguislain.be
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°658 du 1 juin 2013, avec le titre suivant : Le Musée Dr. Guislain