Au XVIIe siècle, Cassiano dal Pozzo, secrétaire du cardinal Barberini, futur Urbain VIII, avait tenté pour la première fois d’établir un catalogue visuel de l’ensemble des savoirs. Ce « Musée de papier »(Museo Cartaceo) de l’histoire naturelle et de l’art antique, consigné dans de superbes aquarelles, est en grande partie conservé au château de Windsor. Toutefois, un millier d’entre elles, soit un cinquième, ont été vendues dans le plus grand secret sous le règne de George V. La Bibliothèque royale est aujourd’hui à leur recherche.
LONDRES (de notre correspondant) - Un certain mystère continue d’entourer la vente d’un millier d’aquarelles par l’ancien conservateur de la Bibliothèque royale de Windsor, sir John Fortescue, pour financer le fonctionnement de son institution. Ces feuilles constituaient quinze des vingt volumes consacrés à l’histoire naturelle (zoologie, botanique et ornithologie), ainsi qu’un volume sur l’Antiquité ; elles avaient été commandées à des artistes italiens par Cassiano dal Pozzo, au cours des trois décennies précédant sa mort, en 1657. On ignore si leur vente par sir John Fortescue avait été autorisée par le roi George V, et le sort des œuvres est inconnu. Même l’année de la vente est imprécise ; on pense toutefois qu’elle a eu lieu après la Première Guerre mondiale, au début des années vingt. “Il n’existe malheureusement pas de document relatif à cette vente, ni de liste des œuvres vendues par Fortescue”, explique la conservatrice Henrietta McBurney. Ces aquarelles n’ont pas été proposées aux enchères, mais cédées à un acheteur anonyme. Elles ont ensuite été dispersées entre plusieurs centaines de collectionneurs qui, pour la plupart, ignoraient qu’elles avaient appartenu au Musée de papier de Cassiano dal Pozzo et qu’elles étaient demeurées cent cinquante ans dans les collections de la Bibliothèque royale.
Celle-ci cherche aujourd’hui à les retrouver. Aucune des œuvres vendues ces deux dernières années n’a réintégré Windsor, soit parce qu’elles n’ont pas été identifiées avant la vente, soit parce que leur prix n’était pas justifié. Ainsi, cette année, Sotheby’s en a vendu plusieurs, réparties en trois lots, dont deux attribuées par erreur à l’école anglaise. Le 14 avril, par exemple, le lot 181, composé de trois études de chouette (et d’une aquarelle d’un autre groupe) attribuées à l’“école anglaise du XVIIIe siècle”, a été adjugé 2 185 livres sterling (21 800 francs). D’autres illustrations de Cassiano sont réapparues dans la vente d’histoire naturelle du 17 mars chez Christie’s. Deux aquarelles d’oiseaux – un serin et un chardonneret – (lot 154), dans leur encadrement George III, attribuées par l’auctioneer à Vincenzo Leonardi et correctement identifiées quant à leur provenance, sont parties pour la somme modeste de 690 livres.
Un catalogue raisonné en préparation
Cent quarante-sept des aquarelles dispersées ont cependant rejoint leur collection d’origine depuis les années soixante-dix : cent vingt-trois ont été données par le marchand londonien Sir Rex Nan Kivell, douze achetées chez Sotheby’s en 1988, et douze autres acquises ou reçues en diverses occasions. La dernière acquisition, pour 575 livres, était une illustration de mollusque achetée le 3 avril 1995 chez Christie’s, qui avait reconnu son origine. La Bibliothèque royale de Windsor est d’autant plus désireuse d’identifier ces aquarelles qu’elle participe pour une part importante à l’établissement d’un catalogue raisonné reconstituant le contenu entier du “Musée de papier” et reproduisant le plus grand nombre possible des 7 000 aquarelles qui le composaient. Cet imposant projet a été lancé en 1989, sous le patronage conjoint de la British Academy, de l’Accademia dei Lincei, à Rome, et de l’Académie des inscriptions et belles lettres, à Paris. Trente volumes reproduiront et recenseront toutes les illustrations connues. Trois ont déjà été publiés par Harvey Miller (Mosaïques et peintures murales des églises romaines, Autres mosaïques, peintures, sarcophages et petits objets et Citrons). D’autres devraient paraître l’année prochaine, dont Les bois fossiles et Mosaïques anciennes et peintures murales. La recherche des financements pour la suite du projet, qui devrait être achevé dans dix ans, est en cours. Oliver Everett, le bibliothécaire royal, très impatient de récupérer des aquarelles vendues par Fortescue, explique : “La Royal Library est la base administrative du Comité du catalogue Dal Pozzo. Nous souhaiterions donc connaître l’existence de tout dessin qui puisse provenir de Cassiano.”
Les illustrations vendues par Fortescue appartenaient pour la plupart à la catégorie “histoire naturelle�?, quelques-unes seulement ayant trait à l’art et à l’architecture du monde antique. Elles sont l’œuvre d’un petit groupe d’artistes, dont Vincenzo Leonardi, Giovanna Garzoni et Pietro Testa. Elles sont exécutées sur du vergé blanc italien de la première moitié du XVIIe siècle, d’un format allant de 10 x 5 cm à 45 x 35 cm. Un grand nombre d’objets sont représentés grandeur nature. Il s’agit le plus souvent d’aquarelles, avec quelques gouaches, parfois rehaussées de gomme arabique. Certaines portent des traces de préparation à la craie noire. D’autres sont exécutées à la plume et à l’encre, parfois avec un lavis gris ou brun. Beaucoup portent un petit numéro inscrit à l’encre noire ou de couleur sombre (souvent sous l’objet représenté), une inscription manuscrite élégante en italien ou en latin dans le haut de la feuille, ou plusieurs indications en italien moins soignées.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Le Musée de papier envolé
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°91 du 22 octobre 1999, avec le titre suivant : Le Musée de papier envolé