Considérée comme une galerie d’art contemporain à ciel ouvert, une partie du mur de Berlin resté en place doit être démantelée dans le cadre d’un projet immobilier. Un collectif d’artistes se mobilise pour sauver l’« East Side Gallery », à la fois élément du patrimoine historique et réunion d’œuvres d’artistes s’étant battus pour la liberté.
BERLIN - L’annonce est tombée comme un couperet : une partie du mur de Berlin, baptisée « East Side Gallery » et vantée dans les guides touristiques comme l’une des plus grandes galeries d’art en plein air, allait être démantelée sur une longueur de 25 mètres. L’East Side Gallery avait été peinte sur le plus grand morceau de mur resté intact par 118 artistes du monde entier après la chute du Mur, sur une longueur de 1,3 km.
Le projet de démantèlement vise à créer un passage en vue de la reconstruction d’un pont piéton et cycliste qui enjambait la rivière Spree séparait l’Est et l’Ouest de Berlin à cet endroit. D’après les opposants, le passage opéré dans le mur profitera avant tout au projet immobilier de luxe conçu par le promoteur Living House, qui sera réalisé entre la rivière et le mur, dans l’ancien no man’s land ou « couloir de la mort ».
La stratégie du coup de force s’est révélée dans un premier temps payante. Mais, en l’espace de vingt-quatre heures, le collectif d’artistes « East Side Gallery » s’est mobilisé, a porté plainte contre X…, et obtenu un arrêt provisoire des travaux pendant soixante-douze heures. Seule la partie arrondie supérieure du mur a été démantelée. La situation se complique d’autant plus que cette partie contient de l’amiante et, selon la loi, ne pourrait être remise en état.
Ce ne serait pas la première fois que la Ville de Berlin succombe aux sirènes des promoteurs immobiliers, puisque, en 2006, une partie du mur longue de 40 mètres avait été déplacée lors de la construction du complexe de spectacle O2 world. L’East Side Gallery, qui attire plusieurs centaines de milliers de touristes par an, est pourtant classée monument historique depuis 1991. Elle a été rénovée en 2009 par la municipalité de Berlin à hauteur de 2,2 millions d’euros.
Des artistes résistants
Cette fois, la décision a été prise par la mairie d’arrondissement de Friedrichshain-Kreuzberg. Michael Braun, ancien sénateur pour la Justice du Land de Berlin (parti conservateur CDU), a déclaré au quotidien Die Welt : « C’est une barbarie pour Berlin et c’est une barbarie pour l’art. » Il critique vivement les méthodes du maire d’arrondissement Franz Schulz (Verts), qui aurait obtenu l’accord de démantèlement du mur grâce à des méthodes « Nuit et brouillard ». Accusation particulièrement grave dans un pays où l’on ne plaisante pas avec les métaphores nazies.
Ce démantèlement du mur ne représente pas seulement une destruction de patrimoine, il s’attaque également à l’œuvre d’artistes s’étant battus pour la liberté. Berlin-Ouest était alors une île au milieu de la RDA [République démocratique allemande], entourée de 160 km de mur empêchant les Allemands de l’Est de se réfugier à l’Ouest.
Sur les 25 mètres de mur concernés, figure une fresque de l’artiste français Thierry Noir, un des premiers peintres du mur. Au milieu des années 1980, l’artiste, qui voit le mur de sa fenêtre, décide de le peindre, mais non pour l’embellir – car « on peut peindre des kilos de peinture sur le mur, il restera une énorme machine à tuer ». Il résiste à sa manière, en peignant dans l’urgence, des bonshommes colorés qui deviendront sa signature, et en prenant des risques considérables, les gardes-frontières est-allemands étant armés de Kalachnikovs. « La peinture sur le mur à l’époque était complètement interdite parce que c’était une frontière », ajoute Thierry Noir. Trois décennies plus tard, il doit lutter pour préserver le mur contre lequel il s’était battu dans les années 1980. « C’est le paradoxe du Mur », reconnaît-il. Mais les peintures réalisées en 1990 sont « une espèce d’alibi pour protéger le Mur ».
Il n’est toutefois pas seul dans cette bataille puisque, à l’appel des artistes de l’East Side Gallery, environ 6 000 manifestants sont venus protester le 3 mars pour sauvegarder le mur. Cette mobilisation a porté ses fruits : le promoteur immobilier, qui affirme avoir agi à la demande de la mairie d’arrondissement, a déclaré qu’il cessait tous les travaux jusqu’au 18 mars. À cette date, un forum urbain est prévu pour débattre de la question avec tous les acteurs concernés.
Le Maire de Berlin, Klaus Wowereit, déjà en difficulté en raison de l’échec du projet d’aéroport de Berlin, s’est quant à lui prononcé contre le démantèlement, « qui ne lui apparaît pas absolument nécessaire ». Il devait s’emparer rapidement de la question.
L’affaire du Mur de Berlin ne vient pas redorer le blason des promoteurs, déjà bien entamé par la flambée des prix de l’immobilier qui provoque l’exode des galeries et des artistes installés au centre de Berlin.
Le partenariat avec l’Université des arts (Universität der Kunste, ou école des beaux-arts) de Berlin lancé par l’investisseur français Patrice Brunet, directeur général de Swan Operations basé à Abou Dhabi, en a donc été d’autant plus favorablement accueilli. Une collection d’art contemporain, la « Harvest Art Collection », a été constituée spécifiquement pour l’hôtel Waldorf Astoria de Berlin. Neuf cents œuvres, émanant de cinquante artistes, réalisées principalement par les étudiants mais aussi des professeurs de l’Universität der Kunste, orneront ainsi les chambres et les espaces publics de l’hôtel. Le partenariat pourrait se poursuivre avec la création d’un prix artistique annuel.
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Le Mur de Berlin, témoin en sursis
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Abonnez-vous dès 1 €La East Side Gallery, Berlin. © Photo Danee Gilmartin
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°387 du 15 mars 2013, avec le titre suivant : Le Mur de Berlin, témoin en sursis