L’actualité du mois, c’est le licenciement de Gérard Paquet et la demande de dissolution du Théâtre national de la danse et de l’image de Châteauvallon par le maire Front national de Toulon.
Je suis profondément scandalisé. Je ne comprends pas qu’on ne puisse pas révoquer le préfet du Var ou le déplacer, compte tenu des propos qu’il a déjà tenus. Bien sûr, il ne faut pas diaboliser, il ne faut pas faire ressembler le Front national au nazisme. Je ne crois pas que la France soit prête à tomber dans le "frontisme", comme l’Allemagne dans le nazisme. Beaucoup de choses ont heureusement changé, mais il y a le chômage et d’autres facteurs qui appellent des réflexes sécuritaires. Il faut donc être extrêmement vigilant : on ferme un festival, on organise l’entrée de livres d’extrême droite dans les bibliothèques et la disparition de ceux de gauche ou humanistes. Il est clair que cette droite-là essaye de faire prévaloir son idéologie, qui est une idéologie fasciste. L’avenir du Front national se joue sur le terrain, il va prendre des municipalités où l’immigration et le chômage sont des enjeux. Cela est d’autant plus grave que la décentralisation a donné des pouvoirs très importants aux maires.
L’architecte Jean Nouvel a déclaré refuser de travailler avec un maître d’ouvrage Front national, le photographe Denis Roche avait retiré son exposition programmée à Nice.
J’espère bien que Jean Nouvel refusera. Je ne crois pas qu’il faille pactiser avec ces gens-là en pensant qu’ils vont réfléchir et changer d’attitude. Je ne connais que la coupure. Si une exposition Saint Laurent avait été prévue à Oranges ou à Vitrolles, elle n’aurait pas lieu. On ne peut pas être dans une ville où un habitant sur deux a voté Front national.
Et "l’appel à la désobéissance" lancé par des artistes contre le projet de loi sur l’immigration ?
C’est une idée que j’ai eue, je suis donc parfaitement heureux qu’elle ait été reprise. Avant la loi Veil, des femmes avaient affirmé publiquement s’être fait avorter. C’est la même démarche. Il faut provoquer le pouvoir en place, lui dire : "Osez, si vous voulez appliquer cette loi, vous avez tout de suite des mis en examen désignés. N’attendez pas de trouver X ou Y, vous avez ceux qui ont signé". Le pouvoir devra reculer à un moment donné, parce qu’il recule toujours. Mais il n’est pas très réjouissant de devoir en arriver là.
Vous êtes collectionneur. Un collaborateur de Sotheby’s a été surpris en train d’expliquer à un client comment exporter son tableau frauduleusement…
Je ne veux pas me mettre dans l’illégalité à ce sujet. Mais je suis tout à fait contre des mesures de protection qui ressemblent à de la spoliation. Quand je lis, sous la plume du directeur des Musées de France Françoise Cachin, le seul texte d’inspiration quasi marxiste sur la question, je reste sans voix ! Les conservateurs, les pouvoirs publics s’étonnent presque que des collectionneurs aient des œuvres d’art chez eux, elles seraient tellement mieux dans les musées ! Ils ont le droit de se poser cette question, mais il y a une manière très simple d’y répondre : acquérir les œuvres à un juste prix.
Philippe Douste-Blazy prépare à ce sujet un nouveau projet de loi, qui semble, pour l’heure, d’inspiration plutôt protectionniste.
On verra bien si ce nouveau projet de loi est en conformité avec l’Union européenne. S’il ne l’est pas, il sera attaqué devant la Cour de justice. Un projet de loi purement protectionniste encouragera le marché noir et la fuite des œuvres d’art. L’intimidation, la rétention n’enrichiront jamais les musées de France !
La réouverture du Musée de la mode a été marquée par une polémique, certains ont parlé d’une "affaire Saint Laurent".
Il n’y a pas d’affaire Saint Laurent. Le Musée de la mode a de bonnes raisons pour ne pas présenter ses créations puisqu’une exposition a déjà été organisée, et Yves Saint Laurent a son propre musée et ses propres archives. Le Musée de la mode a été créé dans les années 80 grâce à Jack Lang et moi-même. Je suis vice-président de l’Union centrale des arts décoratifs (Ucad) et président de l’Union française des arts du costume (Ufac), l’émanation de la profession. Quand il a été décidé de déplacer le musée, nous avons pu obtenir que 150 millions de francs soient débloqués. J’ai favorisé une alliance entre l’Ufac et l’Ucad, qui a abouti à un dépôt d’environ 20 000 robes. À ma grande stupeur, dans un musée où nous pouvons nous considérer un peu chez nous, l’Ufac a été complètement oubliée. Ni pour cette exposition, ni pour la muséographie, nous n’avons été consultés. Nous pourrions donc considérer que la convention liant l’Ufac à l’Ucad est caduque et envisager le retrait du dépôt. Nos collections sont très courtisées par d’autres villes, comme Versailles par exemple.
Quel événement culturel vous a récemment marqué ?
La réouverture – enfin – de l’atelier Brancusi au Centre Pompidou, qui est pour moi un des événements majeurs de ces dernières années. C’est considérable, après les errances passées, la cabane sur la Piazza…
Est-il possible de reconstituer un atelier ?
Non, bien sûr. Il aurait fallu classer l’impasse Ronsin. Mais le travail de Renzo Piano est formidable et donne une idée de l’atelier. Il n’y a ni la poussière, ni les vitres cassées, mais il y a le bric-à-brac tout de même.
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Le mois vu par Pierre Bergé
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°34 du 1 mars 1997, avec le titre suivant : Le mois vu par Pierre Bergé