La Biennale de Venise fête cet été le centenaire de sa manifestation consacrée aux arts plastiques. Mais au début des années trente, pour faire de la Sérénissime le lieu d’un vaste festival touristique et culturel, elle s’était élargie à la musique, au cinéma (la \"Mostra\") et au théâtre. Créée en 1934, la Biennale de théâtre était en sommeil depuis dix ans. Elle reprend vie cette année avec le metteur en scène espagnol Lluis Pasqual, directeur du festival qui se déroulera du 13 mai au 21 juin. Âgé de 43 ans, directeur de l’Odéon-Théâtre de l’Europe à Paris, il commente son programme et l’actualité du mois.
Pourquoi avoir choisi comme thème de votre festival "le voyage, l’amour et la mort" ?
Il illustre tout bêtement ce que Venise représente pour le public : Venise est un voyage, surtout d’amour, et Venise c’est la mort même. Nous avions au départ un programme très ambitieux, mais nous avons été confrontés à la réalité économique italienne, et à celle plus particulière de Venise. Venise est une ville extraordinaire, mais qui se défait. Il n’existe pratiquement pas de théâtres : la Fenice, le Goldoni, et un autre plus petit. Il faut donc inventer des espaces.
De fait, la Biennale n’est pas un théâtre et ne sait pas faire du théâtre, alors que celui-ci est devenu une machine plus compliquée. Nous avons dû réduire le programme – une douzaine de spectacles – à la moitié environ de nos ambitions. Je voulais néanmoins qu’il y ait des créations. J’ai donc ouvert la Biennale à des coproducteurs, pour que des spectacles soient repris ailleurs.
Vouloir faire le point en un mois sur l’état du théâtre dans le monde aurait été trop prétentieux, d’autant plus que nous sommes dans une réalité plutôt explosive. Il n’y a pas d’esthétique prédominante en matière de théâtre. On fait beaucoup plus de théâtre qu’il y a vingt ans, la qualité s’est sans doute améliorée. Mais je vois cela comme une sorte de prêt-à-porter mécanique, une moyenne parfois très ennuyeuse qui laisse le public indifférent.
Celui-ci sort de la salle de la même manière qu’il y est entré, il n’a pas vécu d’émotion poignante et consomme une mécanique très bien faite. Trouver quelqu’un qui réalise une belle production d’un Shakespeare ou d’un Strindberg… n’est pas très difficile.
La chose peut-être la plus difficile a été de trouver des spectacles qui échappent à cette "mécanique", des spectacles autour du thème retenu, où le besoin précède la forme. C’est clair avec le Romeo & Juliet, où existe une énergie beaucoup plus forte que le texte lui-même : le moteur du spectacle, c’est la décision de deux théâtres de Jérusalem, un israélien et un palestinien, de coopérer. C’est clair également avec Still/Here, dont la motivation est le choix de Bill T. Jones de faire un spectacle sur le sida. Cela devrait toujours être comme cela, mais tel n’est pas le cas. Il est utile de profiter de la Biennale pour le souligner.
Avez-vous fait appel à des plasticiens pour les décors ? N’avez-vous pas le sentiment que le monde des arts plastiques et celui du théâtre collaborent moins qu’autrefois ?
Je mets en scène Roberto Zucco, de Bernard Maria Koltès, avec le peintre Frédéric Amat, mais je crois que je suis le seul.
Il y a eu de grands moments de rencontres entre la peinture, la sculpture, le théâtre ou la danse. C’est aujourd’hui de moins en moins le cas, mais cela peut revenir car il s’agit de mouvements évoluant comme des vagues. Je dirais que c’est dû à un manque de "vitamines" : le théâtre n’en a pas assez, mais la peinture non plus. Nous sommes à un moment de "crise" dans chaque secteur. À une telle époque, chacun s’interroge sur sa propre activité et n’a pas la générosité d’aller la partager avec le voisin. De plus en plus de metteurs en scène font leurs propres décors, car il y aussi une crise chez les décorateurs de théâtre.
En revanche, on voit des metteurs en scène signer des scénographies d’expositions.
Je l’ai fait pour une exposition Miró à la Fondation de Barcelone, pour une autre sur les natures mortes de Goya à la Bibliothèque nationale de Madrid. Je peux le faire pour quelqu’un que j’aime. Mais cela ne m’excite pas vraiment, je préfère mettre en scène des personnes vivantes.
Les travaux de reconstruction du Liceu, qui avait brûlé en janvier 1994, entrent dans une phase préliminaire.
J’avais fait deux observations, partagées par beaucoup d’autres, qui ont été respectées. Pour moi, il fallait que le théâtre soit reconstruit aux lieu et place qu’il occupait à Barcelone, sur les Ramblas, et non pas en banlieue sous prétexte de construire une salle plus vaste. De tels projets, s’ils sont parfois de bonne foi, sont la plupart du temps motivés uniquement par la spéculation immobilière. Les théâtres doivent être au cœur de la ville. Deuxième remarque : que les architectes fassent ce qu’ils veulent du point de vue décoratif, à condition qu’ils respectent la structure d’un théâtre à l’italienne.
Le premier tour de l’élection présidentielle est passé. La culture a occupé peu de place dans la campagne.
Je crois que les hommes politiques n’en ont rien à cirer. Le débat n’est pas plus intéressant dans les deux autres pays que je connais, l’Espagne et l’Italie.
Quelle exposition vous a marqué récemment ?
Poussin. Ce peintre ne me disait pas grand chose, mais j’ai eu la chance de voir cette rétrospective avec deux amis peintres mexicains et Octavio Paz, qui m’ont appris à lire cette peinture, à déceler déjà Matisse à travers trois petites filles dansant près de l’eau… C’était formidable. Je citerai également la grande exposition de maquettes au Palazzo Grassi à Venise, qui est reprise partiellement au Musée des monuments français à Paris. Quand j’étais en Espagne, je me rendais beaucoup plus dans les galeries. À Paris, j’ai très peu de temps, alors qu’il y a beaucoup plus de galeries…
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Le mois vu par - Lluis Pasqual
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°14 du 1 mai 1995, avec le titre suivant : Le mois vu par - Lluis Pasqual