Musée

Le mois vu par Jacques Barrère

Marchand d’art asiatique

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 1 février 1995 - 880 mots

PARIS

Âgé de 48 ans, Jacques Barrère se consacre depuis plus de vingt-cinq ans aux objets d’art ancien d’Extrême-Orient. Il a ouvert sa galerie de la rue Mazarine en 1975, et est reconnu comme l’un des grands spécialistes de cette discipline. Expert près la Cour d’appel de Paris, il a également organisé en 1993 le premier retour d’un objet d’art en Chine : les fenêtres en bronze du Tong ting au Palais d’été à Pékin. Il prépare une exposition inédite sur les \"objets en bois du Royaume des Chu\" (Chine 500-300 avant J.C.). Il commente l’actualité du mois.

Le Journal des Arts : Dans l’exposition "Chine des origines", présentée au Musée Guimet jusqu’au 6 mars, figure une terre cuite du Sichuan, une tête d’homme de l’époque des Han postérieurs, que vous avez donnée à ce musée. Pourquoi un marchand fait-il une telle donation ?
Jacques Barrère : J’ai donné quelques pièces au Musée Guimet, dont la plus importante est cette tête du Sichuan, mais j’ai également offert une dizaine de pièces au Musée Cernuschi. J’ai été incité à suivre cette voie par l’exemple de grands collectionneurs d’art asiatique, des passionnés que j’ai rencontrés, et qui ont donné leurs collections. Je ne suis pas le seul marchand parisien dans ce cas ; mon collègue Jean-Michel Beurdeley a donné également des objets au Musée Cernuschi.

Sur le plan moral et psychologique, je dirais que les donateurs s’assurent une forme d’éternité. Un négociant est le dépositaire temporaire d’une quantité d’objets ; il n’est qu’un intermédiaire. La donation à un musée est un moyen de marquer sa place dans la société, d’autant plus qu’en France, les collections publiques sont inaliénables. Si, comme aux États-Unis, les musées français pouvaient vendre leurs collections, je n’agirais pas de la sorte. J’ajoute qu’en France, les conservateurs de musée ont évolué favorablement vers nos métiers ; la rivalité qui existait auparavant a disparu.

La donation permet également à un marchand d’échapper au contexte commercial dans lequel il baigne en permanence. C’est astreignant, toute une vie, d’acheter et de vendre, d’être dans un esprit de concurrence… Enfin, je ne dois pas oublier qu’il est possible de déduire fiscalement la valeur d’une donation, ce qui est incitatif pour tout donateur.

Février est marqué par plusieurs expositions et des ventes consacrées à l’art vietnamien. Comment considérez-vous l’art de ce pays et l’avenir de son marché ?
Le Viêt-nam est certainement à découvrir et à reconsidérer. Son art n’est sans doute pas du même niveau que celui d’autres pays, mais il comporte des spécificités remarquables. Son inspiration est beaucoup plus libre, dans les décors de céramiques par exemple. C’est un art plus sensible, plus doux, qui a moins de rigueur, un côté moins officiel que l’art chinois.

Il y a en France des collectionneurs d’art vietnamien depuis de nombreuses années, des personnes très classiques et très discrètes. Les anciens administrateurs des colonies ont rapporté beaucoup d’objets. La France est certainement un réservoir de céramiques Thanh Hoa des XIIe et XIIIe siècles, ou de bleus de Huê ; en revanche, il y a peu de sculptures.

Il est important de montrer l’art vietnamien, mais il ne faut pas créer un marché spéculatif. Le Viêt-nam va s’enrichir, il tolère dorénavant une certaine liberté. Il va donc y avoir des collectionneurs, et la diaspora va sans doute, elle aussi, se mettre à collectionner. Mais il ne faut pas que le marché soit manipulé, vers le haut ou le bas. L’abondance d’objets d’archéologie chinoise de mauvaise qualité apparus dans des ventes a manipulé ce marché vers le bas. Le risque est plus limité pour l’art vietnamien, car il y a moins d’objets. Ce marché devrait se mériter.

Le multimédia, les "autoroutes" de l’information sont en pleine effervescence, comme l’a montré le 2ème Milia à Cannes. Quel intérêt présentent pour vous ces nouvelles technologies  ?
Je travaille plutôt en bibliothèque. Je dispose de cinq cents ouvrages, et j’aime le contact avec mes livres. On ne trouve pas toujours ce que l’on cherche, mais parfois on retrouve ce que l’on cherchait il y a un mois, ou on découvre quelque chose d’inattendu. Il ne faut pas s’enfermer dans une démarche de performance à tout prix, mais se laisser aller à un rythme "humain".

Les bases de données peuvent offrir néanmoins un instrument de travail essentiel. Si vous avez un objet dont vous ne maîtrisez pas la datation ou la localisation, le rassemblement d’informations à l’échelle mondiale accélérera votre travail. Avoir par exemple en banque de données toute la sculpture Kamakura du monde entier permettrait une recherche beaucoup plus rapide que si vous manipulez cent cinquante ouvrages.

Mais il ne faut pas oublier que ces banques de données ne livreront qu’un état actuel des connaissances. L’évolution de l’histoire de l’art montre sans cesse des remises en cause. Et puis, aussi "performantes" soient-elles, ces banques de données ne remplaceront jamais l’œil du connaisseur.

Comment préparez-vous votre prochaine participation au Salon de Mars  ?
Je sens une évolution vers la sculpture. Les acheteurs ont l’air d’être lassés de la peinture, qui a été trop galvaudée. La sculpture asiatique ancienne est plus difficile à appréhender, plus compliquée, mais elle est beaucoup plus complète. Je vais présenter un sculpteur contemporain chinois, de Taiwan, Wu De Ch’un, un ancien élève de César, qui travaille le fer.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°11 du 1 février 1995, avec le titre suivant : Le mois vu par Jacques Barrère

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