Roland Recht est professeur au Collège de France depuis le 1er mars 2001, titulaire de la chaire, créée à son intention, d’Histoire de l’art européen médiéval et moderne. Né à Strasbourg, où il fait ensuite ses études, il a partagé sa carrière entre l’université et les musées, particularité notable parmi les historiens d’art.
Assistant d’histoire de l’art du Moyen Âge à la faculté des Lettres de Strasbourg en 1967, puis professeur à l’université de Dijon (1980-1986), il prend en charge la direction générale des huit musées de Strasbourg, de 1986 à 1993. Il dynamise une activité en sommeil en réalisant de nombreuses expositions – parmi lesquelles on retiendra “Saturne en Europe” (1988), “À qui ressemblons-nous ?”(1988), “Les Bâtisseurs des cathédrales gothiques” (1989) –, met l’accent sur l’art contemporain longtemps délaissé et lance le projet de Musée d’art moderne (finalement inauguré en 1998). En désaccord avec la politique culturelle de la municipalité, il démissionne en 1993 et devient professeur à l’université Marc-Bloch.
Médiéviste internationalement reconnu, spécialiste notamment de l’architecture et de la sculpture, réalisateur d’ouvrages de fond et de synthèse (L’Architecture gothique, Gallimard/Electa, 1992 avec Louis Grodecki et Anne Prache, ou Automne et Renouveau, 1380-1500, Univers des Formes-Gallimard, 1988), Roland Recht a consacré ses recherches à des pans méconnus de l’activité des bâtisseurs. Il a considéré le monument comme le “centre géométrique” de nombreux savoirs, occultés ou perdus (comprenant les conditions de la commande, les données socio-économiques, la science des matériaux, les choix formels, etc.), dans lesquels la réception moderne et différée vient introduire les distorsions de notre jugement, ou de notre incapacité à totaliser les données. Avec Le Dessin d’architecture : origines et fonctions (Adam Biro, 1995), il a par exemple restitué cette pratique fondamentale du dessin comme constitutive de l’art de bâtir à l’époque gothique.
Mais la réflexion rigoureuse et précise du médiéviste se distingue aussi par deux spécificités : l’ampleur de l’observation et des points de vue, qui déborde de beaucoup la spécialité architecturale pour s’interroger, d’une manière tout à fait actuelle, sur notre propre immersion dans le visible (ou sur notre pulsion scopique, comme on voudra) ; la volonté de prolonger l’analyse au-delà du Moyen Âge et même des Temps modernes, tant il est convaincu que le travail d’histoire de l’art n’est dissociable ni de l’histoire des idées, ni de notre vision contemporaine du patrimoine, ni de notre appréhension de l’art de notre temps. Ce souci traduit ainsi une constante ouverture méthodologique que l’on trouvera en œuvre dans ses nombreuses publications (livres “large public”, catalogues, revues spécialisées, mais aussi comptes rendus de presse). Programme complexe qui vise parfois à concilier des vues inattendues ou a priori hétérogènes : dans La Lettre de Humboldt. Du jardin paysager au daguerréotype (Bourgois,1989), publiée à l’occasion du cent cinquantenaire de la photographie, Roland Recht analyse la description, par le savant allemand Humboldt, du daguerréotype (dont il fut un des témoins privilégiés en 1839), en montrant la préparation du regard, depuis le XVIIe siècle, au “concentré de temps et d’espace” qu’est le jardin, et à la vision fragmentée qui caractérisera la photographie. Penser le patrimoine (Hazan, 1999) étudie une autre genèse, celle de la “mise en scène et mise en ordre de l’art” qui régit progressivement le musée, le catalogage, comme l’organisation patrimoniale dans son ensemble. On trouvera enfin dans un autre ouvrage récent, Le Croire et le Voir ; l’art des cathédrales, XIIe-XVe siècle (Gallimard, 1999), une approche très stimulante d’une articulation nouvelle, dans l’église gothique, des croyances chrétiennes et de la “visualité” concrète (des objets, reliques, sculptures, vitraux), réinterrogeant les conditions de production des œuvres d’art comme les attitudes de réception et les significations afférentes. Roland Recht a publié cet automne Le Rhin. Vingt siècles d’art au cœur de l’Europe (Gallimard).Il donnera sa leçon inaugurale au Collège de France le 14 mars 2002.
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Le médiéviste et le regard contemporain
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°140 du 11 janvier 2002, avec le titre suivant : Le médiéviste et le regard contemporain