Les grandes Jungles de Henri Rousseau (1844-1910), dit le Douanier Rousseau, comptent parmi ses œuvres les plus abouties et les plus spectaculaires. Douze pièces de cette série produite à Paris entre 1905 et 1910 constituent le cœur de l’exposition printanière du Grand Palais. Accompagnées d’un choix d’une quarantaine de portraits, de paysages urbains et d’allégories, ces peintures décrivent un univers foisonnant, entre imagerie populaire et rêverie fantastique, exotisme dans l’air du temps et style faussement naïf.
Au-delà de l’image réductrice d’une peinture à l’iconographie simple et naïve, l’œuvre du Douanier Rousseau mérite d’être redécouverte. Et l’exposition organisée au Grand Palais en offre l’occasion. Celle-ci retrace en effet l’ensemble de sa carrière – commencée sur le tard, il expose pour la première fois au Salon des Indépendants à l’âge de quarante et un ans –, en mettant l’accent sur ses tableaux de Jungles, ceux où se manifestent sa fantaisie et son imagination.
À travers un parcours chronologique déployé en onze salles, la présentation évoque les thèmes chers à l’artiste : couples et femmes dans la forêt, allégories, paysages de Paris, portraits d’enfants et peintures naïves… Une exposition d’autant plus exceptionnelle que des prêts ont été consentis par les plus prestigieux musées internationaux, dont le musée Pouchkine de Moscou, la fondation Beyeler de Bâle, le Cleveland Museum of Art et le Philadelphia Museum of Art.
Un parcours ponctué de zones d’ombre
Aujourd’hui encore, l’artiste n’est que partiellement connu. À l’exception de quelques pièces relatives à sa carrière militaire, à ses fonctions d’employé de l’octroi de Paris et aux affaires judiciaires (qui lui valurent quelques heures sombres), les documents d’ordre biographique, rassemblés en deux sections au Grand Palais, sont assez rares. Par ailleurs, un grand nombre d’œuvres n’ont pas survécu au peintre.
Ce qui est certain, c’est que les artistes et les auteurs d’avant-garde tels Alfred Jarry, Guillaume Apollinaire, Félix Vallotton, Pablo Picasso, Robert et Sonia Delaunay ont vu en Rousseau un précurseur du primitivisme. Un soutien qui a contrebalancé les incessantes railleries des critiques et du public.
La peinture du Douanier Rousseau est un art du paradoxe. L’artiste ne cesse de jouer entre le familier et l’étrange, donnant à ses tableaux un caractère inclassable. La confrontation entre les Jungles et les autres œuvres montre comment le fantastique s’immisce dans l’ordinaire et, inversement, comment l’étrange prend l’apparence d’éléments familiers, notamment par des changements d’échelle. Dans les scènes qui précèdent les Jungles, l’artiste peint des parcs où l’ambiance se fait menaçante. Dans les Jungles, les animaux se livrent à des batailles féroces au milieu d’un feu d’artifice de couleurs, d’une végétation luxuriante, cocktail de fleurs et de fruits exotiques.
Rousseau : académisme ou avant-gardisme ?
Autre paradoxe, celui du style. D’une grande richesse iconographique, les œuvres du Douanier Rousseau relèvent d’une construction complexe à mille lieux de leur apparente simplicité, voire de leur apparence simpliste. Leur fausse naïveté en appelle à une tradition de la peinture classique dans la précision et le détail. Nous savons combien Rousseau appréciait la peinture académique, Jean-Léon Gérôme en tête.
Dans le même temps, ses œuvres tendent vers un primitivisme mêlé à un goût pour l’exotisme et un onirisme irréel qui portent la peinture de Rousseau au premier rang des avant-gardes.
1844 Naissance à Laval en Mayenne. 1870 Le Douanier entre à l’Octroi de Paris comme clerc d’huissier. 1884 Il obtient l’autorisation de travailler comme copiste aux Musées nationaux. 1886 Introduit par Signac, Rousseau expose au Salon des Indépendants. 1904 Au Salon des Indépendants, il expose sa première œuvre exotique : « Éclaireurs attaqués par un tigre ». 1905 Admission au Salon d’Automne, salle des fauves. Il se lie d’amitié avec Apollinaire et Robert Delaunay. 1908 Picasso organise en l’honneur de Rousseau un banquet dans son atelier du Bateau-Lavoir. 1910 À l’age de 66 ans, il décède à l’hôpital Necker à Paris.
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Le Douanier Rousseau
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°579 du 1 avril 2006, avec le titre suivant : Le Douanier Rousseau