« Toulouse doit devenir une plateforme de la création artistique contemporaine », martelait le « Projet culturel 2009-2014 » rédigé par la municipalité socialiste en 2008 n Les bonnes intentions tardent à se concrétiser.
Blotti sur une planche appuyée sur deux tréteaux plantés au milieu du loft, le gros matou dort en boule comme un bienheureux. Indifférent au ballet des visiteurs qui s’épuisent à pousser la porte récalcitrante de la galerie. La verrière éclaire d’une lumière blanche une bâche de Claude Viallat et une série de petites toiles épurées de Piet Moget. Le maître des lieux est assis derrière un bureau de fortune sur lequel trônent un vieux téléphone et un cahier. Jacques Girard a ouvert sa galerie en 1982 à deux pas des quais de la Garonne, non loin de l’École des beaux-arts. Trente ans plus tard, elle est toujours là, dans son jus, réfugiée au fond d’une cour d’immeuble. « Je travaille avec des habitués, des collectionneurs qui me suivent depuis le début », lance le galeriste d’une voix douce accompagnée d’un sourire timide.
Marc Devade, Martin Barré, Gottfried Honegger et Jean-Pierre Pincemin – un de ses premiers coups de foudre –, ont défilé au fil des ans sur ses cimaises aujourd’hui un peu défraîchies. « Il fait bon vivre à Toulouse, du coup il n’y a pas un grand dynamisme du côté des arts plastiques », s’amuse Sylvie Corroler-Talairach, qui dirige la Fondation Espace-Écureuil pour l’art contemporain. « La métropole souffre d’une véritable dichotomie. Toulouse est la quatrième ville de France, mais il est pourtant fréquent que les gens ne sachent pas la situer sur une carte de l’Hexagone », souligne Cécile Poblon, directrice du BBB, le seul centre d’art conventionné de la « ville rose ». « Belle endormie qui manque d’ambitions » pour certains, Toulouse souffre de son enclavement et de l’absence de desserte par TGV. Chez les plasticiens, on peine à identifier une tête de file qui puisse être associée à la « cité des violettes ». Jean-Marc Bustamante ? Il y est né, mais il y a longtemps qu’il la quittée. Et du côté des jeunes, ceux qui émergent ont plutôt tendance à prendre la poudre d’escampette tels le performeur Nicolas Puyjalon et la peintre Emmanuel Castellan, qui ont gagné Berlin. Parmi les figures plus confirmées comme Guillaume Pinard, qui a rejoint Rennes, on observe le même mouvement de sauve-qui-peut.
Les arts de la rue plus que les arts plastiques
Nés aux forceps en 2000 grâce à quinze ans d’un combat obstiné mené par Alain Mousseigne, devenu le directeur général de l’établissement, les Abattoirs n’ont pas suffi à ancrer Toulouse sur la carte de l’art contemporain. Conjuguant les missions d’un musée, d’un centre d’art contemporain et d’un Frac (Fonds régional d’art contemporain), les Abattoirs souffrent de cet entrelacs administratif et budgétaire et de l’écartèlement entre ses tutelles. Étrange attelage où les deux têtes – Alain Mousseigne et Pascal Pique, le directeur à l’époque du Frac Midi-Pyrénées – ne tiraient pas dans la même direction. « Le regroupement de trois entités dans un même lieu, et l’absence de cap a créé des conflits de programmation entre eux », explique l’artiste Damien Aspe.
« Il n’y a pas eu réellement [avant 2008] de politique culturelle, chaque établissement avait son projet mais il n’y avait pas de mise en cohérence d’ensemble », souligne Éric Fourreau, le conseiller culturel du maire qui fut le rédacteur du « Projet culturel pour Toulouse 2009-2014 ». À peine élu maire en mars 2008, le socialiste Pierre Cohen organise des Assises de la culture afin de hisser sa ville au rang de « métropole créative européenne ». La barre est placée haut. Il s’agit de faire de Toulouse « une plateforme de la création contemporaine » en mettant en « réseau les structures et les artistes, qui souffrent d’une trop grande atomisation ». Quatre ans après les Assises, où en est-on ? « L’intention était louable, mais les choses sont un peu lentes à se mettre en place », sourit Marie-Béatrice Angelé, conseillère pour les arts plastiques à la Drac (direction régionale des Affaires culturelles) Midi-Pyrénées. Il est vrai que la municipalité mise davantage sur les arts de la rue et le spectacle vivant que sur les arts plastiques, qui demeurent le parent pauvre de Toulouse.
« Il est un peu difficile de se faire entendre. On se sent un peu loin de la Mairie », glisse Sylvie Corroler-Talairach, dont la Fondation est ancrée place du Capitole.
Pierre Cohen aurait-il peu d’inclination pour les arts plastiques ? « Lors des vernissages du Printemps de septembre, il se souvient rarement du nom de la présidente du festival. Je l’ai vu une seule fois au Lieu-Commun – un espace d’art contemporain né en 2007. C’est Christian Bernard, alors directeur artistique du Printemps, qui l’a conduit jusqu’à nous », signale Manuel Pomar, le directeur artistique du lieu. Ce dernier déplore aussi que le nouveau directeur général des affaires culturelles de la Ville soit plus féru de musiques actuelles et d’économie sociale et solidaire que d’arts plastiques.
Même salve de critiques du côté des artistes. « Les plasticiens sont persona non grata. La municipalité ne s’intéresse qu’au spectacle vivant », regrette Damien Aspe, qui se plaint également du manque de lieux d’exposition et de la quasi-absence d’ateliers d’artistes. « Nous sommes très en retard sur ce dossier, poursuit Marie-Béatrice Angelé. Faute d’ateliers d’artistes – la Ville en a construit une poignée à la Reynerie dans les années 1990 –, les jeunes quittent Toulouse. » Car la cité des violettes n’a pas la chance de disposer, comme Marseille ou Nantes, de friches industrielles vacantes. Nantais installé à Toulouse depuis de longues années, l’artiste Alain Josseau déplore également l’absence de politique de soutien vis-à-vis des artistes plasticiens. Sélectionné une année à Preview Berlin Art Fair (foire d’art contemporain), il s’est vu refuser une aide sollicitée auprès de la Mairie pour financer le transport de ses œuvres. La municipalité « se refuse à aider les plasticiens, mais ils soutiennent en revanche activement les troupes de danse et les compagnies de cirque », souligne-t-il.
Fédérer les actions
En 2001, l’éclaircie est venue de Cahors. Soucieuse de développer son festival en misant sur des lieux d’exposition et de spectacle plus grands et plus adaptés, Marie-Thérèse Perrin, la présidente et fondatrice du Printemps de septembre, a quitté le Lot pour s’établir dans la ville rose. Depuis onze ans, la manifestation est devenue « le » rendez-vous de la rentrée culturelle à Toulouse. Elle a permis à la ville de devenir une étape de la scène contemporaine nationale et de lui donner ainsi plus de visibilité. « C’est un coup de projecteur très appréciable pour Toulouse. On ne voit certains collectionneurs et amateurs qu’à cette occasion », souligne le galeriste Brice Fauché. « La politique culturelle de Toulouse ne peut pas ne reposer que sur des coups médiatiques. Il faut aussi une activité étalée sur toute l’année », rétorque la directrice de centre d’art Cécile Poblon. L’an prochain, la manifestation reprendra ses quartiers au printemps. « C’est la Novela, le festival de la connaissance lancé en 2009 par la Mairie, qui a chassé le Printemps de Marie-Thérèse Perrin de sa case du mois de septembre afin de donner plus de visibilité à ce festival qui est la marotte de la municipalité », explique Manuel Pomar.
Depuis 2008, un vent de renouveau souffle sur la scène toulousaine. Fini l’isolement, le chacun pour soi. Les acteurs du milieu de l’art contemporain ont décidé de se regrouper et de fédérer leurs actions pour donner plus de dynamisme à la scène locale et mieux promouvoir la création contemporaine. En 2008, une poignée de galeries d’art toulousaines, réunies au sein de l’association Rrose Sélavy, ont décidé de prendre les choses en main. Leur objectif ? Offrir une meilleure visibilité aux artistes et développer des relations entre acteurs publics et privés. Las, après quatre années d’exercice, l’association a cessé son activité par manque de combattants. La galerie GHP a fermé ses portes au cours de l’été 2011, Lemniscate a disparu du paysage alors que l’EXPRMNTL Galerie réduisait la voilure. Ne restent plus que les galeries Sollertis, créée en 1987 par Brice Fauché, Christine Kandler, fondée en 1993, et Jacques Girard. « Le manque de dynamisme territorial, l’absence de marché régional pour la jeune création, l’état critique du mécénat culturel en France et l’immobilisme de l’État et des collectivités nous ont rendu la tâche trop difficile », expliquent Olivier Gal et Benoît Sicre, les directeurs de l’ex-« galerie GHP », sur la page d’accueil de leur site Internet.
Deux nouvelles figures
La faiblesse de la scène contemporaine toulousaine serait-elle liée au manque de collectionneurs ? « Il y en a peu en effet », glisse Marie-Béatrice Angelé, qui évoque un club de collectionneurs très actif mais aux moyens financiers peu élevés. « Il n’y a pas à Toulouse, comme c’est le cas ailleurs, de grande bourgeoisie entrepreneuriale. Et les cadres dirigeants d’Airbus Industries ne s’intéressent pas trop à l’art », note Brice Fauché.
Dans le sillage de Rrose Sélavy, une vingtaine de structures – associations, espaces municipaux, galeries privées – se sont à leur tour regroupées pour dynamiser le territoire. PinkPong, le réseau d’art contemporain de l’agglomération toulousaine, a mis en place deux rendez-vous très attendus : un week-end de l’art contemporain qui se déroule au mois de mai et le festival du dessin contemporain « Graphéine », dont la quatrième édition se tient en ce moment dans la ville rose (7 novembre-8 décembre).
« PinkPong apporte un peu plus de visibilité à l’effervescence des arts visuels. Il est certain que Toulouse se trouve en ce moment dans une conjonction de planètes très favorable dont il va falloir profiter », insiste Marie-Béatrice Angelé, évoquant l’arrivée en 2012 de deux nouvelles figures sur la scène toulousaine : Yves Robert à la tête de l’École des beaux-arts et Olivier Michelon aux commandes des Abattoirs.
« Toulouse jouit d’un fort potentiel, mais elle est en retard par rapport à des métropoles comme Bordeaux, Nantes ou Lyon, et la scène contemporaine reste à créer », lance Yves Robert. « Toulouse n’est pas encore un carrefour incontournable pour les arts plastiques, mais c’est une métropole qui a une identité forte et beaucoup d’atouts. C’est la deuxième ville étudiante de France et le milieu associatif y est riche », souligne Olivier Michelon, qui voudrait faire virer le navire des Abattoirs davantage vers le contemporain et jeter des ponts vers d’autres disciplines comme la musique et le cinéma. Les milieux de l’art contemporain attendent, d’ores et déjà, monts et merveilles de ces deux nouveaux astres de la scène toulousaine. « Un sacré poids doit peser sur leurs épaules », sourit Sylvie Corroler-Talairach.
- Les Abattoirs, Musée d’art moderne et contemporain, 76, Allées Charles-de-Fitte, 31300 Toulouse, www.lesabattoirs.org
- Fondation d’entreprise Espace-Écureuil pour l’art contemporain, 3, place du Capitole, 31000 Toulouse, http://caisseepargne-art-contemporain.fr
- BBB Centre d’art, 96, rue Michel-Ange, 31200 Toulouse, www.lebbb.org
- Lieu-Commun, espace d’art contemporain, 25, rue d’Armagnac, 31500 Toulouse, www.lieu-commun.fr
- Galerie Sollertis, 12, rue des Régans, 31000 Toulouse, www.sollertis.com
- Galerie Jacques Girard, 20, rue des Blanchers, 31000 Toulouse, http://www.galerie-girard.com/
- EXPRMNTL Galerie, 18, rue de la Bourse, 31000 Toulouse, http://exprmntl.fr
- Galerie Kandler, 14, rue Bayard, 31000 Toulouse, www.galeriekandler.com
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Le défi du contemporain
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°379 du 16 novembre 2012, avec le titre suivant : Le défi du contemporain