BERLIN / ALLEMAGNE
En marge du Gallery Weekend de Berlin, le quotidien The New York Times a réuni un panel impressionnant de personnalités lors de la conférence « Art Leaders Network ».
Berlin. Organiser une conférence qui rassemble la crème de la crème du monde de l’art est une perspective angoissante, explique Robin Pogrebin, journaliste culture au New York Times (NYT) et directrice du programme 2018 de l’« Art Leaders Network ». « Il s’agit d’un public difficile », notait- elle en préambule de la conférence qui se déroulait cette année pour la première fois à Berlin. Entre les foires d’art et les biennales, les opportunités de networking (réseautage) ne manquent pas, soulignait la journaliste, et chacun est déjà expert dans son domaine. Mais le New York Times souhaitait donner l’occasion à ces experts d’échanger sur les meilleures pratiques et de formuler des retours d’expérience sur les nombreux changements qui secouent le monde de l’art, changements concernant : les habitudes d’achat des collectionneurs, la nécessité pour les musées de changer leur modèle, les difficultés économiques croissantes rencontrées par les petites et moyennes galeries.
Des défis communs aux musées et galeries
Le NYT organise des conférences sur de nombreux domaines tels que la science, la technologie, l’éducation ou bien encore l’énergie. Les trois premières éditions relatives à l’art s’étaient tenues à Doha (Qatar), sous le nom d’« Art for Tomorrow ». C’est sous le nouveau nom d’« Art Leaders Network », mais toujours financé principalement par les musées du Qatar, que l’événement s’est s’installé à Berlin, qui est un centre pour l’art contemporain et l’innovation, précisait Stephen Dunbar-Johnson, président international de The New York Times Company.
En consultant la liste des intervenants, on pouvait se dire que le surnom de « Davos du monde de l’art » n’est pas immérité. Celle-ci incluait des méga-galeristes tels que Thaddaeus Ropac, Marc Glimcher, P.-D.G. de la galerie Pace, et David Zwirner ; des directeurs de musée comme Glenn D. Lowry (MoMA, New York), Tristram Hunt (Victoria and Albert Museum, Londres), le président du Metropolitan Museum of Art (New York) Daniel Weiss ; la Cheikha Al-Mayassa Bent Hamad Al-Thani, présidente de l’Autorité des musées du Qatar ; le directeur d’Art Basel Marc Spiegler ; les artistes Ai Weiwei et Olafur Eliasson ; les dirigeants des maisons de ventes aux enchères Sotheby’s, Christie’s, Phillips et Lempertz.
Musées et galeries doivent affronter des défis communs, tels que sortir de leur tour d’ivoire, ont déclaré sans ironie les experts devant un parterre trié sur le volet et qui a déboursé la modique somme de 2 000 dollars (1 660 €) pour assister à la conférence. Thaddaeus Ropac affirmait ainsi que le monde de l’art est passé d’un modèle exclusif à un modèle inclusif. Marc Glimcher, P.-D.G. de la galerie Pace, relevait un changement de modèle pour les galeristes. Auparavant, les collectionneurs visitaient les galeries à New York. Désormais, il faut aller chercher les jeunes collectionneurs issus du monde Internet à Palo Alto. C’est pourquoi la galerie y a ouvert une antenne. Plus que par l’acquisition d’œuvres, cette nouvelle génération est intéressée par l’expérience avec les artistes.
Pour les musées, « sortir de leur tour d’ivoire » implique une course à l’agrandissement et à la modernisation, la nécessité de diversifier les collections pour y inclure les minorités, de multiplier la médiation culturelle et de l’étendre au-delà des murs de l’institution, et enfin de mieux s’intégrer dans le paysage urbain avoisinant. L’adoption des nouvelles technologies est aussi indispensable pour attirer un public plus jeune. Un énorme défi pour Markus Hilgert, directeur du Musée des arts du Proche-Orient au Musée de Pergame à Berlin. Les rénovations et l’agrandissement du musée ne seront achevés qu’en 2030, comment anticiper les technologies qui prévaudront alors ? Le smartphone sera-t-il toujours utilisé ? La seule solution selon Markus Hilgert est de miser sur le contenu. Une proposition réfutée par Glenn Lowry, directeur du MoMA, qui faisait observer que cela ne suffit plus et qu’au-delà du contenu il faut maintenant « penser numériquement ».
Œuvres en réalité augmentée
Les maisons de ventes aux enchères doivent également s’adapter. Amy Cappellazzo, vice-présidente exécutive, chargée du département des beaux-arts de Sotheby’s, était plus inquiète. Comme dans de nombreuses industries telles que le tourisme ou l’assurance, il faut « changer ou périr ! », s’est-elle exclamée. Elle a ainsi révélé que les ventes en ligne seraient bien plus onéreuses que les ventes classiques – mais il est nécessaire de suivre la tendance.
L’artiste Olafur Eliasson a commencé à soigner sa présence sur la Toile lorsqu’il s’est aperçu que son site était plus visité que ses expositions. Il apprécie l’apparition d’un nouveau public amené par le réseau social Instagram, public qui ne se serait auparavant pas déplacé dans des centres d’art. Il se demande si le monde de l’art sera bientôt bouleversé par les nouvelles technologies comme le monde de la musique et l’audiovisuel l’ont été avec le service de streaming Spotify et Netflix. Une réalité pas si utopique ou si dystopique que cela, avec l’apparition des œuvres en réalité augmentée. L’avocat spécialiste en propriété intellectuelle Edward Klaris évoquait un modèle où les artistes pourraient non plus vendre des multiples d’œuvres en réalité augmentée, mais bénéficier de droits d’auteur, lesquels seraient beaucoup moins élevés qu’une vente unique mais pourraient s’étaler sur une durée de cent ans.
Les galeristes Dominique Lévy (Lévy Gorvy, New York, Londres) et Guillaume Sultana (Sultana, Paris) confirmaient que de plus en plus de ventes se concrétisent après que les œuvres ont été vues sur Instagram. Guillaume Sultana a aussi détaillé les contraintes pesant sur les petites galeries, qui doivent participer aux foires commerciales mais qui peinent à rentrer dans leur frais tant cela implique des coûts élevés.
Une « taxe grande galerie »
Une des surprises de la conférence est venue du galeriste David Zwirner (implanté à New York, Londres, Hongkong). Celui-ci a reconnu qu’il est beaucoup plus difficile d’ouvrir une galerie aujourd’hui qu’il y a vingt-cinq ans. Il dit regretter l’esprit de collégialité qui régnait à l’époque, et assumer sa part de responsabilité en tant que méga-galeriste dans les difficultés rencontrées par les galeries de petite et moyenne taille. Pour y remédier, il est prêt à accepter de payer une plus lourde participation aux foires, afin de financer la participation de petites et moyennes galeries. À condition que cette « taxe » soit supportée par toutes les grandes galeries, que le bénéfice en revienne réellement aux petites galeries, et ne serve pas à enrichir les foires commerciales. Une annonce accueillie avec scepticisme par les participants et le directeur d’Art Basel, lesquels doutent que les grandes galeries acceptent de payer cette nouvelle « taxe ».
La conférence Art Leaders Network a permis de soulever de nombreuses questions et de montrer à quel point le monde de l’art connaît de nombreux bouleversements. Pour le quotidien allemand Tagesspiegel, cette conférence a démontré par ailleurs l’attractivité de la capitale allemande ainsi que du Gallery Weekend Berlin, qui présente sa 14e édition. Mais le journal qualifie la conférence du NYT d’« ovni » venu surfer sur le succès du Gallery Weekend. Il a déploré le peu de contacts noués avec les « indigènes » berlinois. Si la prochaine édition de la conférence, qui se veut annuelle, se déroule de nouveau à Berlin, les organisateurs devront faire l’effort de mieux s’intégrer à la vie culturelle de la capitale.
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Le « Davos du monde de l’art » se réunit à Berlin
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°501 du 11 mai 2018, avec le titre suivant : Le « Davos du monde de l’art » se réunit à Berlin