Polémique

Le Caravage décapité

Le Journal des Arts

Le 6 janvier 2006 - 616 mots

Plusieurs prêts d’œuvres ont été refusés pour une exposition consacrée au maître à Milan, conduisant à l’annulation de sa présentation à Vienne.

 MILAN - Une polémique a éclaté en Italie en marge de l’exposition majeure consacrée au Caravage et à ses disciples, actuellement présentée au Palazzo Reale de Milan (jusqu’au 6 février 2006). Intitulée « Caravage et l’Europe », elle comprend huit tableaux signés de l’artiste et cent quarante-cinq œuvres de ses suiveurs, réunies par l’historien d’art Vittorio Sgarbi, ancien sous-secrétaire d’État italien à la Culture, puis fondateur du Parti de la Beauté. L’exposition, qui devait ensuite être présentée en mars 2006 au Liechtenstein Museum de Vienne, ne voyagera finalement pas, faute d’accord avec le musée autrichien.
La polémique porte sur deux tableaux du Caravage que deux institutions italiennes de premier plan, la Pinacothèque di Brera, à Milan, et le Museo Bellomo, à Syracuse (Sicile), ont refusé à la dernière minute de prêter pour l’exposition. Ces refus ont tellement irrité Vittorio Sgarbi qu’il a réclamé des poursuites disciplinaires contre les directeurs du musée milanais et de l’Institut central de restauration (ICR) de Rome, où l’œuvre de Syracuse est actuellement traitée. Il n’a pas pour autant indiqué les moyens qu’il comptait employer pour les mettre en œuvre.
La Pinacothèque di Brera et l’ICR n’ont pas voulu répondre à nos questions. Une représentante de la Ville de Milan nous a cependant indiqué que le musée milanais avait refusé le prêt du Repas à Emmaüs, car l’œuvre revenait d’un prêt de longue durée. Elle a ajouté que le retrait de L’enterrement de sainte Lucie, actuellement en cours de restauration à l’ICR, s’expliquait par sa précarité. Pourquoi ces arguments n’ont-ils pas été portés à la connaissance de Vittorio Sgarbi ? Mystère.
Selon un communiqué de l’agence de presse italienne ANSA, et comme l’annonce le catalogue de l’exposition, quinze œuvres du Caravage devaient être exposées à Milan. Mais les cimaises du Palazzo Reale n’en présentent actuellement que huit. Aux dires du directeur du Liechtenstein Museum, Johann Kräftner, quatorze œuvres du Caravage lui avaient été promises. « Nous avions la promesse de quatorze Caravage, mais beaucoup ont fait l’objet de refus de prêt, notamment la Madone de Lorette (Madonna dei Pellegrini), de l’église Saint-Augustin de Rome, nous a-t-il déclaré. L’exposition viennoise a dû être annulée en raison du retrait inattendu de beaucoup d’œuvres importantes. » Pourquoi ces prêts n’ont-ils pas été accordés ? « Nous n’avons obtenu aucune réponse substantielle, s’étonne le directeur. Et nous pensons que les accords sont faits pour être respectés. »

Suivi des prêts
L’organisateur de l’exposition, Gilberto Algranti, de la société milanaise Tekne, nie toute responsabilité dans ces annulations. Selon lui, « l’exposition de Vienne paraît avoir été annulée en raison de problèmes internes au Liechtenstein Museum. Le catalogue présente quinze œuvres parce qu’il prévoyait que des tableaux pouvaient être substitués à ceux de l’exposition de Milan. La Pinacothèque di Brera a refusé un prêt, mais le tableau du Museo Bellomo est en cours d’examen à l’ICR et arrivera bientôt à Milan ». La société Tekne aura néanmoins certainement à répondre de son rôle dans l’obtention et le suivi des prêts pour cette exposition.
La National Gallery de Londres, quant à elle, se disposait à prêter deux Caravage pour l’exposition viennoise, Garçon mordu par un lézard et Salomé portant la tête de saint Jean-Baptiste. « Ces prêts avaient été sollicités pour les deux expositions, nous a déclaré un porte-parole du musée. Mais nous avons décidé de ne les prêter qu’à Vienne, car ces tableaux ont déjà beaucoup trop voyagé. »
Cette affaire vient une fois de plus confirmer les difficultés grandissantes que doivent affronter les conservateurs de musées et les commissaires pour organiser les grandes expositions d’art ancien.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°228 du 6 janvier 2006, avec le titre suivant : Le Caravage décapité

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