La société de conseil Eurogroup lance un projet de résidences d’artistes dans une entreprise qui cherche à être dérangée.
PUTEAUX - Entre le monde de l’artiste et celui de l’entreprise, les ponts semblent souvent improbables. Pour Julien Eymeri, manager à la société de conseil Eurogroup (Puteaux, Hauts-de-Seine), des parallèles existent pourtant entre les deux univers. « Comme un artiste, un consultant qui fait une intervention porte un regard singulier sur une réalité. Lequel regard peut, chez le client, provoquer un effet miroir et donc l’envie de changer une situation, indique-t-il. Il y a nécessité de bousculer les choses. En effet, une mission qui ne crée rien est une mission ratée. » Pour étayer les similitudes entre les deux « métiers », Eurogroup a choisi d’inviter des artistes à effectuer une résidence dans leur société. Le concept est né au vu des mutations que connaît dernièrement la firme, avec un déménagement l’an dernier, une réorganisation des équipes, et une accélération du développement européen. L’idée a alors germé de demander à un plasticien d’observer ce mouvement interne et de le matérialiser à sa façon. « Certes, mettre une peinture à l’accueil, ou faire une commande privée pour un nouveau siège social, est une façon de faire entrer l’art dans l’entreprise, observe Julien Eymeri, responsable de ce projet. Il existe des séminaires de créativité où les artistes sont amenés à intervenir. Cela déclenche généralement une fièvre créatrice chez les salariés, qui retombe très vite. La “Résidence d’artistes Eurogroup” se veut un travail plus en profondeur. » Chaque résidence, d’une durée de quatre mois, implique un budget en moyenne de 45 000 à 50 000 euros couvrant les honoraires de l’artiste, la fabrication des œuvres, l’exposition dans le siège assortie d’un catalogue. Eurogroup se réserve le droit d’acheter tout ou partie des œuvres produites à cette occasion, même si la société n’imagine pas monter une collection. Quatre artistes ont été choisis, à commencer par Igor Antic, arrivé dans l’entreprise en janvier dernier, suivi prochainement par Renaud Auguste-Dormeuil, Julien Prévieux et Barbara Noiret. Le casting a porté sur des créateurs curieux de l’entreprise, mais pas activistes pour autant. « Nous avons choisi Igor car il a un humour sans cynisme ni méchanceté. Nous avons sciemment cherché à être bousculés. Ce qui est largement aussi important que le résultat final, précise Francis Rousseau, P.-D. G. d’Eurogroup. Pour moi, 70 % de l’enjeu de la “Résidence d’artistes Eurogroup”, c’est la vie de l’artiste dans l’entreprise. » Cette formule est prévue pour l’heure seulement pour une durée de deux ans. « Si cela devient une routine, cela ne marchera pas, observe Francis Rousseau. Il faut que le prochain artiste nous dérange autrement. Sinon cela devient de la communication-marketing, quelque chose de très conservateur. »
« Donner de la déverticalisation »
La présence d’Igor Antic n’est pas allée sans frictions ni méfiance de la part des salariés. « J’ai pu entendre des choses comme le fait que l’art et le conseil n’avaient rien à voir, relate l’artiste. Ma plus grande satisfaction serait qu’ils comprennent qu’un artiste n’est pas là pour déranger un fonctionnement mais pour faire sa recherche. En étudiant le métier de consultant, je me suis attaché à un certain vocabulaire que je trouvais étonnant, et à leur façon de créer des outils visuels. J’ai décidé que mon projet traiterait de nos points de convergence et divergence. »
Dévoilées le 20 juin, les quatre œuvres nées de cette immersion ne manquent pas de sel. Des éléments décomposés d’un casse-tête géant portent sur leurs facettes le jargon du consulting, sibyllin pour le commun des mortels. Ainsi peut-on lire des formules aussi obscures que « donner de la déverticalisation », « trouver son travailleur pendulaire » ou « avoir de la métiérisation » ! L’artiste a aussi réalisé cinq photographies de tasses à café portant encore des traces de marc. Ces tasses ont été bues par des consultants en charge d’un même projet, avant d’être décryptées par une voyante.
Si les instruments visuels du consultant, comme les croquis sur paper board, peuvent rejoindre ceux d’un artiste, la relation au temps distingue les deux « professionnels ». « Quand je travaille in situ, je dois étudier le contexte, comprendre la situation. Il y a une phase d’observation, explique Igor Antic. Chez les artistes, le rythme est différent de celui du consultant. Il faut du temps pour digérer. Je n’ai commencé à écrire des notes que trois mois après avoir assisté à une réunion. » Autre différence majeure : un artiste peut parfois s’inscrire en opposition face à son commanditaire, alors qu’un consultant reste dans une logique de service.
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L’artiste au travail
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°285 du 4 juillet 2008, avec le titre suivant : L’artiste au travail