Dans une Floride qui accueille une partie importante de la diaspora cubaine, Art Basel Miami Beach hisse pour la troisième fois le pavillon de l’art contemporain.
A quelques encablures de Cuba, Art Basel installe pour la troisième année ses quartiers d’hiver à Miami, où le gratin des collectionneurs s’adonne au farniente et à l’art contemporain. Car aujourd’hui, il est du dernier chic d’acheter Jeff Koons pendant ses vacances plutôt que de skier sur les pentes enneigées de Gstaad. Toute la question pour les membres de ce club très sélect est d’avoir accès le premier à une inauguration segmentée le 1er décembre entre un first choice, un preview et un vernissage. L’art contemporain est à la fois un art de vivre et une compétition, ce qu’a très bien compris Samuel Keller, le directeur d’Art Basel (lire p. 34). La grande superproduction d’Art Basel Miami Beach devrait d’ailleurs être bénéficiaire cette année : « Art Basel Miami sera rentable car nous contrôlons nos coûts. Concernant l’argent, nous sommes très suisses », note malicieusement Samuel Keller. Reste à voir pour les galeries si l’appétit des collectionneurs américains est encore solide après les nombreuses emplettes effectuées sur Frieze Art Fair, à Londres.
Politiquement incorrect
La foire a un goût de bannière étoilée avec 40 % de galeries nord-américaines et 7 % issues d’Amérique du Sud. La clientèle latino, constituée notamment des exilés cubains, n’est d’ailleurs pas négligeable. Outre Carlos et Rosa de la Cruz qui, après s’être pourvus en Wifredo Lam, se sont orientés vers un art contemporain mondialisé, on peut relever Ramón Cernuda, collectionneur d’art cubain des années 1920 devenu entre-temps marchand, ainsi que Javier Mora, dont l’intérêt focalisé jusque-là sur Ernesto Neto et Ana Mendieta s’étend aujourd’hui à Olafur Eliasson.
Chaque édition compte son lot d’impétrants, cette année 40 nouvelles élues. C&M Arts (New York), Marwan Hoss (Paris) et Matthew Marks (New York) font leur entrée tandis qu’Anne de Villepoix (Paris) et Yvon Lambert (Paris) amorcent leur retour. « On y va optimistes, car la situation n’est pas très souriante à Paris », lance Marwan Hoss. Si Art Basel préserve l’équilibre entre moderne et contemporain, la version Miami affiche une coloration plus jeune avec une vingtaine de galeries modernes sur les 180 exposants. « Les clients qu’on voit indifféremment à Bâle et à Miami n’achètent pas les mêmes choses aux deux endroits. À Miami, le niveau de transactions va de 50 000 à 300 000 dollars [38 500 à 231 000 euros] », précise Jean Frémon de la Galerie Lelong (Paris).
Les containers d’« Art Positions» situés sur la plage voient arriver Les Filles du Calvaire et Kamel Mennour (Paris), avec respectivement un one-man show de Hans Op de Beeck et le projet feuilletonesque Halal de Kader Attia. Celui-ci reconstitue dans les deux tiers de l’espace un atelier de couture clandestin dédié à la « marque » Halal (1). Poser la question de l’identité musulmane en banlieue, dans un état qui a massivement voté pour George Bush, héraut de l’Église évangélique et pourfendeur de l’axe du Mal, ne manque pas de saveur ! Le politiquement incorrect est d’ailleurs du dernier cri puisque des sacs vintage de grandes marques, floqués du logo Halal, seront en vente à l’entrée du container.
Pour éviter que les enseignes les plus à la pointe, mais les moins nanties, ne soient récupérées par les foires off NADA et Scope, le salon avait initié l’an passé la section « Art Nova ». L’engouement est tel que cette dernière s’élargit à 22 galeries contre 13 en 2003. L’occasion de découvrir les environnements en mutation de Haluk Akakçe chez The Approach (Londres), ou le regard désabusé de Pawel Althamer – dont une œuvre avait été achetée par la Tate Modern sur le stand de Foksal (Varsovie) à Frieze. Le ton sera aussi politique chez Barbara Thumm (Berlin) avec la série Revolución du Chilien Fernando Bryce, un clin d’œil à la « révolution permanente » du voisin cubain. On s’étonne toutefois de retrouver dans ce secteur Michael Janssen (Cologne), qui partageait l’an dernier son stand avec Leo Koenig (New York) dans la section principale de la foire. Les contraintes financières génèrent parfois certaines pirouettes… Selon le discours officiel, les galeries de Nova sont censées présenter de nouvelles pièces de 2 à 4 artistes, mais certains comme D’Amelio Terras (New York) semblent offrir un panorama complet de leur écurie ! Côté « Statements », 15 projets sur 100 candidatures ont été retenus, parmi lesquels le facétieux collectif Gelatin chez Meyer Kainer (Vienne) et l’artiste berlinois Martin Eder chez Eigen Art (Berlin). Ce dernier ne se sentira sans doute pas dépaysé puisque les Cruz présenteront en parallèle leur collection de jeune peinture allemande.
Les vraies innovations concernent les événements périphériques, plaisirs un brin décadents concoctés pour des VIP en quête de sensations fortes. Le nouveau cru joue la carte de la synesthésie avec un art « sound lounge » où l’on peut apprécier des créations sonores en sirotant un long drink au bord de la piscine du Delano Hotel. De leur côté, grands chefs et artistes taquinent les papilles avec des préparations croisées dignes du Eat Art sous le label « Art loves haute cuisine ». À se demander si le bûcher des vanités se trouve dans la foire, ou à côté...
(1) Littéralement, autorisée par la loi islamique.
2-5 décembre, Miami Beach Convention Center, hall A et D, Miami Beach Floride, États-Unis, tél. 41 58 200 20 20 (Suisse), horaires du 2 au 4 décembre, 12h-22h, le 5, 12h-18h. www.artbaselmiamibeach.com
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L’art à la plage
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°203 du 19 novembre 2004, avec le titre suivant : L’art à la plage