L’Art déco s’est développé dans un contexte économique et idéologique extrêmement défavorable. La grande crise des années trente puis la Seconde Guerre mondiale ont empêché la diffusion d’un style souvent luxueux vers la province. C’est donc à Paris que l’on trouve les principales manifestations de l’Art déco en France, même
si les circonstances ne lui ont pas permis de marquer le paysage parisien en profondeur. Néanmoins, nombre de bâtiments ont gardé la trace de l’ambition d’une époque qui voulait réconcilier l’art et le monde moderne. En Belgique, Bruxelles et ses environs ont conservé quelques édifices remarquables.
Des façades austères, compromis entre formes cubistes et néoclassiques, cachent souvent des intérieurs somptueux dans lesquels le marbre côtoie le bronze et l’ébène. Ainsi, au Théâtre des Champs-Elysées (1913), quelques-uns des artistes les plus fameux de l’époque ont collaboré à la réalisation de ce nouveau temple de l’art lyrique et dramatique : architecture d’Auguste Perret, bas-reliefs de Bourdelle sur la façade en marbre, luminaires de Lalique posent les prémices du style naissant. Une autre salle de spectacle, le théâtre Daunou (1921), près de l’Opéra, mérite l’attention du curieux à la fois pour son aspect pittoresque et pour son histoire. En effet, le décor a été conçu par Armand Rateau en collaboration avec la propriétaire de l’époque, la couturière Jeanne Lanvin. C’est à elle que l’on doit la couleur bleue des sièges – le bleu Lanvin –, des rideaux et des pilastres. Des motifs floraux stylisés et dorés, abondants sur le plafond, donnent une note orientale à l’ensemble. Plus fantastique qu’exotique, la salle du Grand Rex (1932) contraste singulièrement avec le dessin strict de la façade. Fertile en création de musées, l’entre-deux-guerres a ouvert un nouveau champ à l’Art déco. Sur la colline de Chaillot, une anthologie de ce style dans sa version la plus solennelle et monumentale s’offre au promeneur. Les Palais du Trocadéro et de Tokyo (1937) expriment par leur vocabulaire architectural et ornemental la profonde nostalgie du classicisme qui marque l’époque. Après l’abandon de son projet de créer un quartier des musées à Chaillot, Auguste Perret s’est vu confier la construction d’un Musée des travaux publics (1937-1946). Aujourd’hui affecté au Conseil économique et social, l’ouvrage témoigne de l’ambition du célèbre architecte de fonder un nouvel art classique : l’invention d’une colonne s’évasant vers le haut, dont le chapiteau s’inspire du palmier, va dans ce sens. Le Musée des arts d’Afrique et d’Océanie (1931) est à l’opposé géographique et stylistique de l’exemple précédent. Sis Porte Dorée, l’ancien Musée des colonies exprime un goût immodéré de l’ornement, perceptible dès l’arrivée à la vue de la “tapisserie de pierre” de Janniot qui couvre la façade. Les sculptures d’Henri Bouchard sur la façade de Saint-Pierre-de-Chaillot reflètent une inspiration comparable. On retrouve la même affinité avec la tapisserie dans les fresques de la grande salle des fêtes et des salons latéraux. Le premier des deux salons renferme des meubles d’Émile Jacques Ruhlmann – dont un bureau en ébène, galuchat et filets d’ivoire – et des vasques-réflecteurs d’Edgar Brandt. Le second n’est pas moins riche, avec son plancher marqueté et son mobilier en palmier de Guyane créé par Eugène Printz. Ruhlmann est également intervenu dans la salle de bal de la Chambre de commerce de Paris – ancien hôtel Potocki –, 1926-1934 : colonnes, pilastres, lustres, bas-reliefs – La Danse de Joseph Bernard– font directement référence au style Louis XVI, le raffinement en moins.
L’art et le commerce
Percevant sans doute le potentiel de séduction de l’Art déco, le commerce n’est pas resté indifférent à son apparition. Les magasins de La Samaritaine (1926), dont les façades sévères dominent la Seine face au Pont-Neuf, sont certainement les manifestations de l’Art déco les plus connues des Parisiens. Aux Galeries Lafayette, l’architecte Chanut a transformé en 1925 les espaces du magasin en un véritable temple du luxe, même s’il faut déplorer la destruction récente du grand escalier. En 1932-1936, Pierre Patout s’est chargé d’unifier les façades, qu’il a habillées de marbre blanc et de colonnettes en verre des ateliers Lalique. La disparition des bow-windows a, hélas, dénaturé l’ensemble. Le même Patout a construit aux no 3 et 5 du boulevard Victor, dans le quinzième arrondissement, un immeuble tout en longueur semblable à un paquebot (1934-1935). Cafés et restaurants ont également tiré parti du style Art déco. Outre le célèbre Café de Flore, la brasserie Vaudeville, place de la Bourse, présente un décor intact. Ses formes rigides sont tempérées par la richesse des matériaux et la chaleur de l’éclairage. La monumentalité et le luxe de ce style ne pouvaient que séduire les établissements bancaires. Le succursale de la National City Bank (1929-1931) sur les Champs-Elysées en est un bon exemple. Aujourd’hui, l’immeuble est devenu le temple de Virgin Mégastore. L’esthétique de l’époque a aussi investi le domaine de l’architecture la plus officielle. Ainsi, à Boulogne-Billancourt, l’édification de l’Hôtel-de-ville (1931-1934) a rassemblé des artistes aussi divers que Tony Garnier, Robert Mallet-Stevens, Salomon (l’éclairagiste du Normandie) ou René Herbst.
Bruxelles : de l’Art nouveau à l’Art déco
Capitale de l’Art nouveau, Bruxelles n’est pas restée insensible aux charmes de l’Art déco. Le premier bâtiment que l’on découvre en arrivant, la Gare centrale (1937-1952), en est un exemple. Elle témoigne avec le Palais des beaux-arts (1920-1928) du changement d’inspiration dans l’œuvre de Horta, après les audaces de l’Art nouveau. Le génie de l’architecte y est moins patent que dans ses œuvres précédentes. Comme c’est trop souvent le cas à Bruxelles, les réalisations de la première moitié du siècle ont subi l’outrage des ans. Ainsi, au 155 rue de la Loi, les appartements de luxe du Résidence Palace (1923-1926) conçus par Polak ont-ils été convertis en bureaux. Restent tout de même la piscine et le théâtre, toujours en activité. Autour de la capitale, quelques ouvrages retiennent l’attention. À Ixelles, par exemple, l’avenue Franklin-Roosevelt regorge d’hôtels particuliers et d’immeubles d’inspiration Art déco, qui sont l’œuvre de Blomme (nos 39-41, n° 52) ou de Polak (n° 61). À Uccle, le Musée van Buuren présente un intérieur remarquable : à l’escalier en palissandre, dont la rampe est ornée de motifs géométriques, s’ajoute un riche mobilier réalisé par la maison parisienne Dominique.
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L’Art déco a pignon sur rue
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°48 du 21 novembre 1997, avec le titre suivant : L’Art déco a pignon sur rue