Portraitistes des rois de France, Jean (1475/1485-1540) et François (1515-1572) Clouet ont su élever l’esquisse au rang d’œuvre d’art. Subtil mélange de pierre noire et de sanguine, une partie des portraits qu’ils dessinèrent sont réunis au Musée Condé, à Chantilly jusqu’en février.
CHANTILLY - Reine de France, Catherine de Médicis fut aussi une grande collectionneuse. Elle possédait de nombreux dessins, qu’elle a rassemblés pendant une trentaine d’années, du règne de François Ier à celui de Charles IX. Dispersée après sa mort (1589) et réunie partiellement par le duc d’Aumal trois siècles plus tard, la collection de l’héritière de Laurent le Magnifique compte aujourd’hui plus de 360 portraits dessinés par Jean et François Clouet, appelés communément les “Clouet de Chantilly”. Une partie de cet ensemble fait aujourd’hui l’objet d’une remarquable exposition au Musée Condé, à Chantilly. Le portrait de Catherine de Médicis (vers 1560) réalisé par François Clouet inaugure le parcours. La reine y apparaît en habit de deuil, portant un voile noir, fidèle à la devise qu’elle s’était fixée à la mort de son roi, Henri II, en 1559 : “Ardorem extincta viveres testantur flamma” (La flamme étant éteinte, [les larmes] témoignent que l’ardeur vit). Excepté ce dessin, prêté par la Bibliothèque nationale de France (BnF), et le portrait de François de La Rochefoucauld, seigneur de Ravel (1565), prêté par le Musée du Louvre, les quatre-vingt-huit pièces sélectionnées proviennent des réserves du Musée Condé. Souffrant essentiellement de détériorations liées à leurs anciens montages, les œuvres ont été restaurées pour l’occasion.
Jean et François Clouet utilisaient pour dessiner un papier blanc non préparé – le même que pour la correspondance ou les actes –, qu’ils pliaient en deux dans le sens de la longueur : le portrait était dessiné sur une moitié du papier, l’autre servant de brouillon. À de rares exceptions près – ainsi du portrait d’Éléonore de Habsbourg, archiduchesse d’Autriche, reine de France, vers 1540, entièrement conservé –, cette seconde partie de la feuille a été arrachée, probablement dès le XVIe siècle.
Un regard translucide
Représentant le modèle tourné de trois quarts, très rarement de profil et jamais de face, le portrait est réalisé d’après nature. L’artiste commence par tracer les contours du personnage à la pierre noire, puis relève les carnations à la sanguine en utilisant les hachures en diagonale (Jean Clouet) ou l’estompe (François) pour saisir le moindre détail. Associée au crayon bleu pour dessiner les pupilles, c’est la craie blanche qui donne au sujet ce regard translucide si particulier, si captivant. Le jaune peut également être utilisé pour rehausser les cheveux, la barbe, le costume. Pour représenter plusieurs fois la même personne, l’artiste reprend souvent un portrait antérieur, dont il garde les contours avant de vieillir les traits du visage, et de changer éventuellement les vêtements. Dans la première moitié du XVIe siècle, comme il n’est question que d’esquisses, toute l’attention est portée au visage, le costume est simplement ébauché. Par la suite, après 1550, le costume prend de l’importance ; en témoignent les portraits, réalisés par François Clouet et son atelier, de Charles, cardinal de Guise puis de Lorraine, avec son costume et sa barrette de cardinal entièrement dessinés à la sanguine (vers 1555), d’Anne de Pisseleu, dame de Coesmes de Lucé (vers 1557), dont les perles de la toque, le collier et le col sont légèrement rehaussés de jaune, ou encore d’Antoine de Crussol Ier, duc d’Uzès (vers 1560). Vers 1555, Catherine de Médicis commence à annoter les noms des modèles sur les dessins. Pour Alexandra Zvereva, commissaire de l’exposition et auteur du catalogue, nombre de portraits étaient probablement destinés à l’éducation de ses enfants, notamment Charles et Henri. La reine voulait que ses fils reconnaissent les membres des grandes familles et souhaitait également leur montrer des gens absents de la cour ou décédés avant leur naissance.
Compte tenu de l’ampleur de la collection, d’autres expositions consacrées à Jean et François Clouet verront le jour, à Chantilly, dans les prochaines années. Pour l’heure, parallèlement aux Clouet, le musée expose dans le cabinet des Livres du duc d’Aumale un choix d’ouvrages français illustrés de la Renaissance, en mettant l’accent sur un nouvel élément d’illustration : le portrait gravé.
- LES CLOUET DE CATHERINE DE MÉDICIS, jusqu’au 6 janvier, Musée Condé, château de Chantilly, 60631 Chantilly, tél. 03 44 62 62 61, tlj sauf mardi, 10h-18h jusqu’au 31 octobre ; 10h30-12h45 et 14h-17h du 1er novembre au 28 février. Catalogue, éditions d’art Somogy, 198 p., 30 euros.
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L’art de l’esquisse
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°156 du 11 octobre 2002, avec le titre suivant : L’art de l’esquisse