Intitulée \"Transit\" (lire le JdA n° 43, 12 septembre), l’exposition des œuvres du Fonds national d’art contemporain présentée à l’Énsb-a est placée sous le signe du nomadisme.
Tout comme la Biennale de Cétinié, en ex-Yougoslavie, dont les organisateurs soulignent eux aussi le caractère nomade. Ni le mot ni l’idée ne sont nouveaux : des pérégrinations d’Arthur Rimbaud à la philosophie de Gilles Deleuze, en passant par la Beat Generation et le situationnisme, par l’Arte povera et la trans-avant-garde, le nomadisme est devenu l’un des mots clefs de l’art contemporain. Dans les essais publiés au cours des années soixante, Germano Celant faisait de la mobilité de l’artiste une qualité essentielle qui, de proche en proche, l’amenait à une assimilation au guérillero. Le contexte idéologique et la pratique des artistes justifiaient assez la métaphore. Quand, au début des années quatre-vingt, Achille Bonito-Oliva entreprit la promotion d’une peinture figurative, qui se trouvait être aux antipodes de l’Arte povera, il eut lui aussi recours à ce même terme, l’employant avec une fréquence à ce jour inégalée. Un mot, certainement, peut bien servir deux maîtres et soutenir des ambitions diamétralement opposées. C’est peut-être ce simple constat qui assura, dans le monde de l’art, la fortune et la longévité exceptionnelle du mot "nomadisme". Son caractère international, l’absence de controverses quant à sa traduction (la racine grecque, nomados : "pasteur", ayant survécu à peu près dans toutes les langues) était sans aucun doute un autre atout. La mondialisation post-moderne en était encore à ses début, le nomadisme devint son emblème.
Une valeur arbitraire
Peu importe que le trans-avant-gardiste ait avant tout aspiré à rejoindre la grande tradition des musées, que ses références ait été passéistes, que son habileté décorative ait coïncidé avec une fièvre spéculative, à moins qu’elle ne l’ait dûment favorisée. Dès cette époque, le nomadisme était une valeur arbitraire, mais en quelque sorte magique, qui ne réclamait pas de longues explications et résistait à tout débat. Le nomade a la réputation de n’être jamais là où on l’attend. Une valeur d’autant plus efficace que son antonyme était et est resté hors d’usage : nul ne saurait parler, en bien ou en mal, d’un artiste sédentaire. Utilisé en marge de toute dialectique, le nomadisme pouvait alors accomplir une capitale métamorphose pré-cybernétique : devenir un mot de passe, le premier entre tous. Approximation sédimentée, allégée de ses références littéraires et philosophiques, elle se faisait aussi discrète que rapide, accomplissant sans coup férir ses missions de reconnaissance presque instantanée. Le sort des mots de passe n’est pas enviable : hors protocole, leur fatale insignifiance devient difficilement acceptable. Et ils finissent par ouvrir trop de portes ouvertes devant trop d’acteurs sans qualité. Pourtant, ce n’est pas qu’un mot de passe ne veuille rien dire. Il indique plutôt un trou, un manque dans le discours, qu’il faut convertir à défaut de pouvoir le combler. Son efficacité est proportionnelle à sa vacuité : ou bien il disparaît de la circulation, ou bien il accomplit, au grand scandale des lexicologues, une ultime modification de son statut qui lui permettra de s’adapter et de prospérer dans n’importe quelle situation. Le mot assume alors une simple fonction phatique et, à l’instar du très quotidien "Allô", se contente d’établir la communication.
Dans le langage technocratique, on a plus que jamais besoin d’une telle fonction, et "nomadisme" se retrouve aux premières loges : "Transit : car les œuvres du Fonds sont par nature destinées au nomadisme, puisqu’elles voyagent au sein d’expositions comme d’institutions qui en sont les dépositaires à plus ou moins long terme." L’enchaînement des causes et des effets apparaît inexorable : il n’est pas exclu que notre mot y outrepasse ses fonctions et tente de dire quelque chose. Mais dans le monde cybernétique et interactif auquel nous sommes promis, peu importe que le nomade en question soit plus proche de Monsieur Hulot que de Rimbaud. Peu importe aussi qu’il ait déposé les armes pour partir en vacances.
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L’art comme on le parle
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°45 du 10 octobre 1997, avec le titre suivant : L’art comme on le parle