Né à Casablanca en 1953, Pierre Assouline est directeur de la rédaction du magazine Lire depuis 1993. Journaliste – le Quotidien de Paris, France-Soir, France-Inter, RTL… –, biographe – Gaston Gallimard, Kahnweiler, Albert Londres, Simenon… –, et auteur – Le fleuve Combelle –, il commente l’actualité.
Quels enseignements tirez-vous de la défaite de Kasparov face à Deeper Blue ?
Je ne suis pas sûr que ce soit aussi historique qu’on le prétend. D’abord, parce qu’on ne sait pas tout. C’est surtout un coup de pub d’IBM, c’est évident. Et très réussi. Mais je me demande si Kasparov n’était pas d’accord. Non pas pour perdre, mais pour “jouer le jeu” avec eux, si je puis dire. Et ça fausserait un peu les choses… Un joueur d’échecs de ce niveau joue pour gagner sa vie, pas par passion. Cela dit, à part le fait qu’on ne sache pas tout, c’est assez intéressant. Mais qu’est-ce que ça prouve ? Quand un bulldozer et un homme font un bras-de-fer, le bulldozer gagne. Et après ? Cela n’enlève rien à la force de l’homme. L’homme le plus fort du monde restera toujours l’homme le plus fort du monde, malgré tous les bulldozers. Et qui a mis au point les bulldozers ? Des hommes.
Qu’attendez-vous des élections en Algérie ?
Deux choses sont graves dans ce pays. Premièrement, la guerre civile, aveugle, la pire de toutes les guerres. Deuxièmement, le fait que les prétendus démocrates ont confisqué les résultat des précédentes élections, gagnées par les islamistes. Que devient la démocratie dans ces conditions ? On n’organise pas des élections uniquement pour les gagner. Ou alors, on ne se dit pas démocrate, on fait autre chose. Si l’Algérie veut un gouvernement islamiste…
Que vous inspirent les révélations sur le rôle de la Suisse et de ses banques pendant la Seconde Guerre mondiale ?
Avec la froideur et le goût du secret qui la caractérisent, la Suisse n’a pas fait son examen de conscience après la guerre. Elle s’est assise dessus. Il fallait que ça ressorte un jour ou l’autre. Cela étant, les lobbies américains s’acharnent sur la Suisse. Alors que les Suisses ont montré leur bonne volonté, on dirait que le rapport d’Amato jette de l’huile sur le feu. J’espère qu’un jour, on saura comment et pourquoi tout ça est sorti tout d’un coup.
Que voulez-vous dire ?
Que je ne peux pas assister à tout ça en me disant que c’est tombé du ciel. En matière de campagne de presse, les Américains savent y faire, et celle-ci est très bien menée. À l’approche de l’an 2000, beaucoup de gens semblent vouloir solder les comptes. De plus, 2000 coïncide avec l’extinction pratiquement totale de la génération des acteurs de la Seconde Guerre mondiale. L’affaire Bousquet, l’affaire Mitterrand, l’affaire Aubrac, tout ça participe de cette logique. On a l’impression qu’il faut se dépêcher de régler les affaires de la guerre parce que d’ici deux à trois ans, il n’y aura plus personne pour témoigner.
Et que pensez-vous des célébrations prévues pour l’an 2000 ?
Les gens qui s’en occupent oublient que 2000 est une date pour les chrétiens mais pas pour les autres. 2000, ce n’est rien pour les juifs, les musulmans, les bouddhistes… ce qui fait quand même du monde.
En France, comment jugez-vous la place de la Culture dans la campagne électorale ?
Zéro. Trois fois zéro. Personne n’en parle, ce n’est pas un enjeu, ça n’existe pas. C’est d’autant moins surprenant que Chirac a prouvé non pas son mépris, mais son indifférence pour la Culture, en nommant un personnage aussi inconsistant, aussi falot, aussi peu impliqué que Douste-Blazy.
Ce serait pourtant l’un des ministres les plus populaires.
Si c’est vrai, alors ce gouvernement est une véritable catastrophe. Douste-Blazy a pour lui d’être jeune, incolore et inodore. On ne peut pas être contre !
Pétitions et appels en tout genre se multiplient. Est-ce un signe de bonne santé de la démocratie ou pas ?
Cela m’inquiète pour les partis politiques, et tant mieux. Il n’y a plus qu’un parti qui canalise les énergies des gens et leur volonté de se battre : c’est le Front national. Dans ces conditions, comment s’expriment les gens ? À travers la vie associative ou en poussant des coups de gueule, comme cela a été le cas pour les cinéastes.
Irez-vous voir l’exposition Léger ?
Bien sûr, même si l’affiche est particulièrement ratée. Je n’ai jamais vu une affiche aussi mauvaise pour vendre quelqu’un d’aussi visuel. En revanche, j’ai vu la magnifique exposition Cartier-Bresson à la Maison européenne de la photographie à Paris. On comprend à quel point il a été un des rares artistes du XXe siècle à modifier notre vision du monde. C’est le plus peintre des photographes.
À quel ouvrage travaillez-vous en ce moment ?
Je suis en train d’écrire un récit historique autour du Musée Camondo. C’est un lieu qui me fascine, et je suis en train d’essayer d’en comprendre l’âme.
Quel livre recommandez-vous ?
Pierre Alechinsky, Remarques marginales, chez Gallimard. On oublie souvent qu’Alechinsky écrit, et très bien. Il sait dessiner les mots, c’est très rare.
Quel est le sujet du dossier de Lire au mois de juin ?
Il est consacré aux dédicaces d’écrivains, avec notamment un aperçu de la cote des envois : de 100 francs à 1,3 million de francs pour une dédicace de Baudelaire à Delacroix sur un exemplaire des Fleurs du Mal.
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L’actualité vue par Pierre Assouline, directeur de la rédaction du magazine « Lire »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°39 du 30 mai 1997, avec le titre suivant : L’actualité vue par Pierre Assouline, directeur de la rédaction du magazine « Lire »