Née en 1960, Marie-Ange Guilleminot est l’une des jeunes artistes françaises les plus présentes à l’étranger. Après avoir participé à la Biennale de Venise et au Skulptur Projekt de Munster en 1997, elle a développé des projets au Japon et aux États-Unis. Elle participe actuellement à l’exposition « Jour de fête », au Centre Georges Pompidou. Elle commente l’actualité.
Robert Fleck a appelé les artistes à ne plus exposer en Autriche depuis que le gouvernement de ce pays comprend des ministres d’extrême-droite. Allez-vous suivre son mot d’ordre ?
J’ai eu l’occasion de rencontrer Robert Fleck, je respecte son travail et me sens solidaire de sa position. Robert Fleck est né en Autriche, il est donc plus sensible à la situation actuelle que quelqu’un d’étranger à ce pays. La question de la restitution des œuvres qui appartenaient aux juifs et qui ont été prises par les nazis pendant la guerre n’est même pas encore résolue que l’extrême-droite revient au pouvoir. Je pense qu’il faut réagir, même aux plus petits indices. Une situation peut basculer si malheureusement. Depuis 1998, j’ai entrepris la réalisation d’un monument commémoratif portable qui est dédié à la mémoire d’Hiroshima. Ce travail est plus directement engagé politiquement. Je m’efforce là aussi de ne me laisser emprisonner dans aucune catégorie. Ce travail est politique sans être mêlé à la politique. Pour moi, le cheminement, la manière de procéder est une autre façon de créer.
En France, non sans péripéties, la ministre de la Culture a annoncé la composition du comité d’artistes du futur centre d’art du Palais de Tokyo. Certains avaient également demandé à ce que la direction de ce lieu soit confiée à un artiste. Qu’en pensez-vous ?
Quel est le rôle de chacun et ces rôles ne se chevauchent-ils pas ? Ces fonctions constituent aussi de nouvelles façons pour l’artiste de déplacer son travail, de travailler autrement. Cela ne veut pas dire qu’il ne va pas continuer à faire son travail “d’artiste” : c’est le contexte qui le définit. Certains peuvent aussi faire le choix d’être autonomes. Pour ma part, l’évolution même de mon travail m’a amenée à ne plus avoir de galerie. Cela devenait trop contraignant pour moi de travailler avec un marchand. C’était en contradiction avec le développement de ma démarche.
Vous n’avez plus de galerie mais vous développez un projet sur l’Internet. Comment abordez-vous le réseau mondial, artistiquement parlant ?
Effectivement, je conçois aujourd’hui un lieu virtuel : Le salon de transformation. À partir de ce site Internet, je pourrai établir des relations et trouver des solutions aux demandes et aux besoins ressentis. Je veux donner à ce site la dimension sculpturale, intellectuelle, sensible d’une œuvre. Pour les artistes, l’Internet correspond à cet espace de “liberté” où l’on peut vraiment définir les choses par rapport aux autres, au fur et à mesure. C’est un lieu virtuel qui s’associe à des lieux concrets, c’est un espace qui est en déplacement tout en étant fixe, correspondant parfaitement à la vie d’artiste aujourd’hui. Je me suis trouvée à voyager énormément, parce que c’est ma façon de vivre, de gagner ma vie, et mon ordinateur me suit partout. J’avais essayé d’échapper à l’atelier en faisant un chapeau qui est à la fois une sculpture, et l’outil de mon travail et de ma représentation. Il est évident aujourd’hui que l’ordinateur donne la possibilité d’emmener beaucoup plus, de concevoir à distance, dans plusieurs endroits en même temps. Il permet de travailler au plus proche de la pensée, dans la réflexion immédiate.
Ces nouveaux espaces posent aussi la question de la rémunération des artistes aujourd’hui. Certains demandent à ce que soit établi un droit de monstration versé par les institutions. Quelle est votre position ?
J’accepte parfois des projets parce qu’ils me permettent de toucher les honoraires qui me font vivre. Tout est question d’équilibre puisque je ne fais pas un travail qui produit des choses à vendre. J’essaie, en créant ma propre économie, d’offrir des créations qui ne sont pas estimables et qui, de ce fait, échappent au système marchand habituel. Je suis pour la rémunération des artistes qui exposent. Être artiste, c’est développer un travail quotidien, une recherche permanente, un engagement avec des risques. Il faut tout savoir faire, du métier de femme de ménage à celui d’avocat. Or, nous ne sommes absolument pas soutenus ; l’aspect concret de la vie de l’artiste n’est pas du tout considéré. Quand il est invité à participer à une exposition, l’artiste est maintenu dans un minimum pour pouvoir obtenir ce que l’on veut de lui. Je crois qu’il est plus que légitime de demander des honoraires. Lors des expositions de groupe, je suis toujours très étonnée de voir comment sont gérés et répartis les budgets. Nous travaillons le plus souvent dans le flou le plus complet. Le commissaire d’exposition a aujourd’hui ce rôle, cette responsabilité, d’offrir une rencontre véritable en rapport à son engagement. Les artistes ont non seulement besoin d’être soutenus dans la discussion et sur le fond, mais aussi sur le terrain financier. Souvent, les institutions n’acceptent même pas que la production de l’exposition appartienne à l’artiste. À la fin de l’exposition, l’œuvre est démolie et mise à la poubelle. C’est complètement fou !
C’est une façon d’échapper au marché. En même temps, certaines maisons organisent aujourd’hui des ventes aux enchères d’œuvres artistes contemporains en suivant des logiques d’exposition, de l’accrochage qui précède la vente à la conception du catalogue. La confusion des genres est totale.
Dernièrement, j’ai accepté de prendre part à une “exposition” qui a eu lieu chez Sotheby’s à Paris. C’était à l’occasion de la présentation du numéro spécial de Beaux-Arts Magazine, “Qu’est-ce que l’art ?”, dans lequel je figure. C’était très difficile pour moi d’intervenir dans ce contexte.
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L’actualité vue par Marie-Ange Guilleminot, artiste
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°100 du 3 mars 2000, avec le titre suivant : L’actualité vue par Marie-Ange Guilleminot, artiste