Ancien élève de l’Éna, Jean-Pierre Angremy a mené une double carrière de diplomate et d’écrivain. Il a été successivement en poste à Hong Kong, Pékin, Londres, Florence et Rome, où il fut directeur de l’Académie de France à Rome, la Villa Médicis, de 1994 à 1997. Il a aussi exercé des responsabilités à la tête d’institutions culturelles ou de ministères. Auteur d’une quarantaine d’ouvrages sous le pseudonyme de Pierre-Jean Rémy – des romans principalement –, il a été élu le 16 juin 1988 à l’Académie française. Il est, depuis le 22 janvier 1997, président de la Bibliothèque nationale de France. Il commente l’actualité.
Le 8 octobre seront ouvertes, à Tolbiac, les salles réservées aux chercheurs. Comment voyez-vous cette nouvelle étape dans la vie de la Bibliothèque François-Mitterrand ?
Aux 1 600 places réservées au grand public à Tolbiac vont en effet s’ajouter 2 000 places prévues pour les chercheurs. La Bibliothèque nationale de France va vraiment atteindre, à cette date, son plein régime. Tous les livres seront désormais consultés à Tolbiac. La Bibliothèque demeure néanmoins basée sur deux sites, François-Mitterrand/Tolbiac et Richelieu où sont conservées toutes les collections spécialisées (manuscrits, monnaies et médailles, cartes et plans...). Avec l’extension de la bibliothèque accessible sur le site Gallica, elle renforcera également sa présence sur l’Internet, pour arriver à environ 50 000 volumes, libres de droits, en 1999.
Votre regard sur les expositions de la rentrée ?
Beaucoup d’expositions de cette rentrée ont des rapports avec le livre, avec la fiction, avec l’écriture. C’est le cas de Sophie Calle, d’Alechinsky, de Gustave Moreau notamment. Toutes ont une résonance dans un autre domaine que leur discipline d’origine. Alechinsky est probablement un des peintres contemporains qui travaille le plus avec des poètes, des écrivains, qui écrit, pourrait-on dire, dans sa peinture. Le travail de Sophie Calle avec Paul Auster est une réponse à une interrogation sur l’écriture. Ses photographies deviennent elles-mêmes une forme d’écriture. S’agissant de Gustave Moreau, j’avais, quand j’étais directeur de la Villa Médicis, organisé une grande exposition intitulée “Gustave Moreau et l’Italie”. On y découvrait toutes les influences littéraires, mythologiques qui ont marqué son œuvre, mais aussi sa propre réinterprétation des mythes.
L’exposition Pieter de Hooch est tout aussi fascinante. J’ai découvert ce peintre, à l’âge de 17 ans, en me promenant aux Pays-Bas. J’ai toujours eu le sentiment qu’il était le parent mal aimé de Vermeer. Il est important de voir ces tableaux en ayant à l’esprit des peintures de Vermeer. À la place d’une sorte de sérénité immobile, parfaite, glacée, propre au peintre de Delft, on découvre une sorte de réalisme familier sous lequel couvent des non-dits. Il faut se souvenir que Pieter de Hooch est mort fou. C’est un artiste qui a connu un grand succès, a gagné beaucoup d’argent, et s’est soudain laissé glisser.
Je reviens de Barcelone où se tient une autre très belle exposition, “Dürer dans les collections françaises”, pour laquelle la Bibliothèque nationale de France a prêté quarante eaux-fortes. J’ai été stupéfait par le foisonnement de l’activité culturelle en Catalogne, et à Barcelone en particulier. On ne compte plus les lieux d’exposition : Fondation Miró, Fondation Tàpies, Musée d’art contemporain de Catalogne, Musée national catalan... Une véritable identité nationale catalane est en train de s’affirmer, dans une région qui veut apparaître sur un pied d’égalité avec Madrid. On parle d’ailleurs d’art catalan. Mais on peut aussi se demander comment tout cela va fonctionner. Il va y avoir des coûts de fonctionnement gigantesques.
Que pensez-vous de l’exposition de Villeurbanne, “Côté sud”, fruit de l’action conjointe d’un centre d’art et d’un Fonds régional d’art contemporain?
Nous nous focalisons beaucoup sur l’Allemagne, les États-Unis. Il est intéressant de montrer également le côté sud de la création. Il y a une identité méditerranéenne qui se forme. L’action concertée d’un centre d’art et d’un Fonds régional d’art contemporain est une initiative intéressante. C’est le type de synergie qu’il faut encourager. Il est de bon goût de s’interroger sur la multiplication des Frac. Je trouve, en ce qui me concerne, que ce foisonnement est une bonne chose.
Que représente pour vous la disparition de Kurosawa ?
Kurosawa était un immense cinéaste, l’un des derniers grands. Il ne nous reste plus que Bergman et Antonioni, qui est bien fatigué. L’humanisme, l’attention aux individus que l’on retrouve chez Ozu, et en même temps ce côté épique, formidablement hautain, altier, de la tradition des films de samouraïs coexistent dans ses films. Je n’avais cependant pas beaucoup aimé les derniers films comme Rêves, qui était un peu naïf. Kurosawa n’est pas le seul réalisateur à avoir conquis sa notoriété hors de son pays natal. Ce fut aussi le cas de Samuel Fuller ou de Joseph Losey.
Votre dernier ouvrage, Aria di Roma s’inspire beaucoup de vos années à Rome, à la tête de la Villa Médicis.
C’est le miroir noir de la Villa Médicis. La Villa Lucrezia, où se déroule l’action, est une description de la Villa Médicis pierre par pierre. Mais les pensionnaires de la Villa Médicis ont entre 20 et 35 ans, ils ont encore la vie devant eux. Pour eux, le marché de l’art ne constitue pas l’unique inquiétude. Ils sont beaucoup plus libres dans leurs sources de création que les pensionnaires de la Villa Lucrezia, qui sont plus âgés. Ces derniers veulent produire une œuvre qui sera achetée très cher par la fondation qui les héberge. Ils sont complètement soumis à toutes les règles et sujétions du marché de l’art, jusque dans leurs pires déformations. Je me suis amusé à faire ce livre en essayant d’imaginer ce qui se passerait s’il y avait une sorte d’art officiel.
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L’actualité vue par Jean-Pierre Angremy
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°67 du 25 septembre 1998, avec le titre suivant : L’actualité vue par Jean-Pierre Angremy