Franck Bordas a créé son atelier en 1978, qui publie estampes originales et livres d’artiste. Responsable du secteur Éditeurs de la foire de Bâle, il est également membre de comité de sélection du Saga. Il commente l’actualité.
Vous avez vu le film Basquiat de Schnabel ?
Oui, mais ce film est tellement décevant. Pourquoi ce racolage de téléfilm commercial ? Un peintre vu par un autre peintre, j’espérais une vision d’artiste, fulgurante, j’ai trouvé cela triste et même affligeant. Décidément, le cinéma n’est pas très favorable à la peinture ces temps-ci.
Au moment où sont organisés les premiers "Dix jours de l’art contemporain", comment réagissez-vous aux attaques qui sont lancées contre l’art actuel ?
Tout ceci sent assez mauvais dans le contexte de dénigrement et de dénonciation du moment. Attaquer l’art contemporain français comme le fait Jean Clair, cela ne me semble pas très honnête, et même plutôt scabreux. La réaction de Philippe Dagen, disant que l’art n’avait pas besoin de directeurs de conscience, était bienvenue. Rezvani a raison quand il déclare en substance : "Laissez faire les artistes. Les gens qui font de la glose, les phraseurs, les académies et les officiels ont toujours empêché l’art d’exister". À Paris, on aime bien ce côté polémique désolant. Ce sont les petites querelles du milieu. Il se passe pourtant tellement de choses plus passionnantes, actives et vivantes dans l’art. Cette attitude des officiels, qui dénigrent ce sur quoi ils sont assis – qu’ils ont même organisé en partie –, est plutôt méprisable. Je ne prends pas ça trop au sérieux, même si en même temps, cela cache des enjeux beaucoup plus graves. Le travail des artistes mérite plus de considération. Les gens devraient se documenter et ne pas jeter d’anathème ou de grandes déclarations à l’emporte-pièce, soi-disant définitives.
Quel est, d’après vous, la place de Paris dans le monde de l’art contemporain ?
Elle est révélatrice d’un formidable paradoxe. À Paris, on pourrait croire d’après certains que tout ce qui est parisien, français, est ringard. En même temps, la capitale est une ville mondiale qui continue d’attirer beaucoup d’étrangers. Il se passe beaucoup de choses à Paris, dans les ateliers, mais aussi dans la musique, dans les théâtres, au cinéma... Il y a un public qui se déplace et se passionne pour la culture en général, et la création contemporaine en particulier. Je crois qu’il faut sortir du complexe nombriliste Paris "contre" le reste du monde. La ville a ses tendances, ses lacunes, ses inélégances, mais aussi une ambiance unique et de formidables capacités d’énergie. "Artistes français ou étranger", la question n’est pas là, sauf pour quelques polémistes.
Commandes publiques d’estampes, qui seront d’ailleurs présentées au Saga, ouverture du Centre national de l’estampe et des arts imprimés, Mois de l’estampe : comment jugez-vous l’action de l’État dans le domaine des arts graphiques ?
Il y a actuellement un regain d’intérêt pour ces métiers de l’édition originale, et c’est tant mieux. Mais ce qui m’ennuie parfois, c’est que tout ceci est présenté comme l’ultime "bonne action" pour sauver les derniers rhinocéros qui continuent à faire de l’estampe... Ce n’est pas "l’image" dont notre profession a besoin. Je rencontre beaucoup d’artistes ou d’éditeurs étrangers qui viennent ici parce que, pour eux, Paris est un centre unique dans ce domaine. Le Saga est pour nous une vitrine, un moyen de rencontrer un public plus large que les connaisseurs initiés. Les commandes publiques permettent bien sûr de susciter des projets nouveaux, mais ce n’est pas grâce à cela que l’édition sera diffusée vers le public. Le Centre de l’estampe pourra, je l’espère, montrer un panorama de la création actuelle dans ce domaine et jouer un rôle complémentaire aux ateliers. Le Mois de l’estampe qui se prépare à Paris (15 juin-15 juillet) sur le modèle du Mois de la photographie, même si l’estampe est bien plus confidentielle, va faire découvrir ce monde un peu secret, et je pense qu’il peut initier un nouveau public aux formes très diverses de création.
La France n’a-t-elle pas un problème de public et de collectionneur ?
Il existe un public pour l’art contemporain, mais c’est vrai qu’au lieu de crises intestines, il vaudrait mieux consacrer plus d’énergie à montrer la création de notre époque. Quand certaines galeries semblent fermées à toute création nouvelle, quand les responsables culturels refusent de descendre de leur piédestal, quand des conservateurs ne jouent pas leur rôle, c’est vrai qu’il y a malaise et confusion. Peut-être qu’en étant un peu plus accueillant au public et aux jeunes artistes, en restant curieux et attentif, peut-être un peu plus modeste aussi parfois, le "milieu de l’art" pourrait intéresser davantage ses contemporains et ainsi initier un nouveau public aux formes de création multiples et toujours extraordinaires de son époque. Quand Art Press écrit que le Saga "est une Fiac pour les fauchés", ce n’est pas très généreux ; en d’autres termes, "ça ne vaut pas assez cher pour que l’on s’y intéresse". Or, l’édition et l’art en général ne doivent pas être forcément confisqués ou "séquestrés". L’art doit pouvoir circuler. S’il ne circule plus, s’il n’y a plus ni rencontre, ni surprise, ni découverte, que reste-t-il ?
Des galeries s’installent dans le treizième arrondissement...
Je crois que lancer ce type d’initiative constitue une échappée, une réaction très positive à une sorte de paresse et de découragement qui règne un peu trop en ce moment. Beaucoup de choses sont en train de se mettre en place, et c’est tant mieux. Les gens qui ne veulent pas bouger vont, sans s’en apercevoir, se retrouver à côté de la création. Celle-ci est comme de l’eau qui coule, elle trouve toujours son chemin.
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L’actualité vue par Franck Bordas, éditeur et imprimeur lithographe
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°36 du 18 avril 1997, avec le titre suivant : L’actualité vue par Franck Bordas, éditeur et imprimeur lithographe