Même s’il se définit comme fleuriste, Christian Tortu, 45 ans, dépasse la conception traditionnelle de ce métier en créant d’étonnantes compositions qui voisinent dans ses boutiques de Paris, New York et Tokyo, avec des vases, du mobilier conçus par des designers. Scénographe, il a collaboré à de nombreuses expositions, comme celle sur la mode l’an dernier au Musée des arts décoratifs. Il commente l’actualité.
Les événements liés à l’art du jardin se multiplient, le VIIIe Festival international de Chaumont-sur-Loire s’ouvre le 12 juin. Comment voyez-vous ce foisonnement ?
Il est vrai qu’il y a désormais des foires aux plantes dans la France entière. Elles correspondent à un besoin réel, car le public ne vient pas seulement pour voir mais pour acheter. Il faut saluer le rôle des précurseurs, comme le Domaine de Courson, devenu pour la botanique un rendez-vous incontournable à côté du Potager de Saint-Jean-de-Beauregard, plus spécialisé dans le renouveau des plantes oubliées, des légumes. Chaumont a su trouver sa place, car le festival est totalement international et n’est pas réservé au cénacle, aux seuls passionnés de plantes, mais fait appel aux artistes. Il oscille aussi entre l’éphémère et le pérenne, en durant, contrairement à d’autres manifestations, toute une saison. Les bons projets ont toujours été concrétisés, soit en étant réalisés ultérieurement par des villes, soit à travers des procédés comme les murs de végétaux, qui ont apporté récemment une révolution dans le mobilier urbain. Quant aux nouvelles manifestations, il faut qu’elles dépassent le phénomène de mode pour s’imposer, et c’est sur la durée qu’on les jugera. Je suis réservé sur celles qui me paraissent animées surtout par la volonté de promouvoir des marques, de vendre des produits, qui se situent entre l’événement mondain et l’opération de communication, et oublient que ces fêtes sont celles de la simplicité et de la proximité.
Parmi les projets pour l’an 2 000 figure “La méridienne verte”. Qu’en pensez-vous ?
C’est pour moi l’un des projets forts. Peu sont aussi importants, car peu réussiront à réunir autant de personnes sur une idée qui menace pourtant l’individualité, et peu pourront durer aussi longtemps puisqu’il s’agit de planter des arbres sur une ligne traversant la France du nord au sud. Vous connaissez les conflits déclenchés par le tracé d’une autoroute, d’une ligne de TGV, ou par le dépassement d’une branche de cerisier chez le voisin... Si l’on réussit à planter tous ces arbres, ce sera un beau signe d’espérance, montrant qu’un projet lié à la nature peut être réellement consensuel et faire tomber les barrières, chacun oubliant son petit lopin.
Vous avez vu l’exposition des Nymphéas.
Les Nymphéas font partie des œuvres les plus connues au monde, mais le public en a souvent une idée “carte postale”. Il faut voir les tableaux pour réaliser la force qu’ils véhiculent. Monet est entré à ce point dans le sujet qu’il l’a rendu presque non figuratif. Isolez une infime partie de l’œuvre et vous obtenez un tableau abstrait qui vous fera rêver peut-être encore plus que l’ensemble. J’aime son cadrage disproportionné, ses gros plans ; il n’a pas peint de paysage mais des instants. Ce regard me paraît très moderne, puisqu’il associe à une vision impressionniste un point de vue de photographe. Je suis allé à l’Orangerie à mon retour d’un voyage au Japon. En parcourant les salles, les correspondances entre Monet et l’art japonais m’ont paru encore plus évidentes. Ce type d’échange m’intéresse beaucoup en ce moment, car il reste pour moi un des mystères de la création. Comment des artistes aussi éloignés géographiquement, culturellement, socialement ont-ils pu avoir la même vision des choses ? Dans cet esprit, la Fondation Van Gogh à Arles s’attache à l’influence des estampes sur la peinture de Vincent. Ces rapprochements peuvent me passionner plus que les grandes expositions magistrales.
Taschen réédite en un seul volume les trois ouvrages de Karl Blossfeldt, qui a consacré sa vie à photographier les végétaux.
Blossfeldt porte sur la nature un regard proche de celui de Monet. Il entre lui aussi dans le sujet à un point tel qu’il fait fi du regard commun ; il pénètre le mystère de la vie. Comme Monet, il s’est passionné pour le détail ; dans chaque image passe une émotion.
Vous étiez de nouveau partenaire officiel du Festival de Cannes. Un mot sur la dernière édition, plutôt discutée...
Comment défendre l’art et comment servir l’industrie, voilà le vrai problème de Cannes, et la solution n’a pas encore été trouvée. Je ne porte pas de jugement sur les récompenses attribuées aux films, mais je ne comprends pas que l’on puisse donner des prix d’interprétation à des personnes dont ce n’est pas le métier et qui déclarent ne pas vouloir tourner d’autres films. L’art, l’artisanat, c’est faire des choses qui sont tous les jours remises sur l’établi.
Les grèves qui perturbent les musées ?
Les personnels font grève pour de multiples raisons, parmi lesquelles sans doute de bonnes, et je n’ai pas envie de les juger. Mais ces fermetures sont scandaleuses, surtout pour ceux qui se déplacent de loin dans le but de visiter ces musées. Les musées contribuent au savoir et font donc partie du service public. C’est un devoir de l’État de remplir cette mission.
Christian Tortu, 6 carrefour de l’Odéon, 75006 Paris, tél. 01 43 26 02 56.
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L’actualité vue par Christian Tortu
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°85 du 11 juin 1999, avec le titre suivant : L’actualité vue par Christian Tortu