Après avoir dirigé le service photo de Libération, Christian Caujolle a fondé en 1986 l’agence VU, qui s’est dotée d’une galerie l’an dernier. Auteur de plusieurs ouvrages, il a été commissaire d’expositions, dont les Rencontres d’Arles en 1997. Il commente l’actualité... photographique.
Comment voyez-vous la troisième édition de Paris Photo (lire notre Vernissage) ?
Elle promet d’être particulièrement intéressante car beaucoup de marchands vont présenter des pièces exceptionnelles. De plus, elle va se dérouler après la flambée des prix à New York et celle, surtout, de la collection Jammes à Londres. Il faut encore déplorer que cette vente n’ait pas eu lieu à Paris, les plus grands collectionneurs seraient venus... Quelle occasion ratée ! L’État a été particulièrement masochiste : il s’est privé du droit de préemption et des recettes fiscales. Enfin, le salon a lieu au moment où Roger Therond expose sa collection. C’est une chance extraordinaire, elle est passionnante, impeccablement accrochée à la Maison Européenne de la Photographie. Elle confirme avec des épreuves exceptionnelles l’importance d’auteurs comme Le Gray, et montre la réelle curiosité de ce collectionneur. J’ai ainsi découvert la série de Loppé, Paris la nuit, réalisée vers 1899, alors qu’on a toujours attribué les premières photographies de nuit à Kertesz en 1907. Elle repose aussi sur des partis pris, ce que l’on attend d’un vrai collectionneur. Elle défend Tabard de façon exemplaire, en le mettant à la même hauteur que Man Ray et Lartigue.
À Paris Photo, nous fêterons le premier anniversaire de la Galerie VU, et il sera intéressant de voir comment réagiront des collectionneurs à une photographie contemporaine qui reste relativement bon marché, entre 3 000 et 50 000 francs. Nous présenterons des pièces exceptionnelles, comme un portfolio de Virxilio Vieitez, Circo, dans un coffret créé par le jeune designer Éric Le Dean, des tirages grand format de Gotthard Schuh, mais également Michael Ackerman ou Isabel Muñoz.
Face au recul de débouchés comme la presse ou l’édition, dans quelle mesure cette ascension du marché des tirages influence-t-elle le travail des photographes ?
Elle les aide à financer des travaux personnels de recherche que la seule publication dans la presse ou des livres ne permettait pas. Mais certains photographes ne se sentent pas concernés par ce marché d’objets. Henri Cartier-Bresson, dont les tirages se vendent à des prix élevés, dit toujours ne pas comprendre pourquoi les gens les achètent, alors qu’il les a réalisés pour qu’ils soient publiés dans des journaux ! En fait, le réel développement de la collection photographique en Europe conforte le choix que VU a fait depuis plus de dix ans : défendre une politique d’auteurs. Nous avons vendu des tirages avant même l’ouverture de la galerie. Mais la progression actuelle est spectaculaire. Je ne m’attendais pas, il y a un an, à vendre autant de tirages. L’existence de la galerie amène certains photographes à avoir une réflexion sur le tirage, son procédé, sa limitation, sa taille. C’est très net chez les jeunes. Ainsi, Antoine d’Agata a cette réflexion : il ne veut pas faire de grands formats et préfère présenter des ensembles, des panneaux, Philip Blenkinsop réalise des pièces uniques travaillées avec l’écriture, Chema Madoz choisit le format en fonction du motif et de l’échelle, etc...
Pourtant, comme on le voit dans les foires, beaucoup de photographes se laissent convaincre par le grand format.
Certaines images méritent d’être tirées en grand, d’autres non. Le choix du format est une production de sens, de contenu, et fait partie de l’œuvre. Pour des raisons de marché, beaucoup ont cédé à la tentation du tableau. J’estime énormément le travail de Nan Goldin, mais je n’achèterai jamais un tirage d’elle ; si j’avais les moyens, j’achèterais les projections. Le travail de Nan a une telle perfection en projection que je trouve dommage de lui ajouter une dimension décorative avec un tirage encadré.
L’utilisation commerciale d’une photographie de paysage pourrait pour la première fois faire l’objet d’un procès de la part des propriétaires du site. Comment voyez-vous l’évolution de la diffusion des image ?
Les dispositifs législatifs existants ou en projet sont tellement nombreux et forts, en France, que leur cumul aboutit à des situations absurdes, cauchemardesques. C’est une grave question de société : vouloir interdire l’utilisation de certaines images – pour des motifs simplement cupides qui se dissimulent derrière les grandes valeurs – peut nous amener vers une société amnésique qui se dissimule le réel.
Un dernier mot sur l’actualité éditoriale, les ouvrages de Kubrick, Koudelka, Avedon, Leibovitz...
L’automne est effectivement très riche. Le Kubrick est une magnifique découverte ; il montre comment la photographie a été son apprentissage du cinéma. Elle n’était pas un enjeu important pour lui, mais il avait de la tendresse pour ces images puisqu’il a autorisé leur publication. Il y a deux chefs-d’œuvre : le dernier Koudelka, Chaos, et le Avedon sur les Sixties. C’est son livre le plus explicitement politique, où le texte a une importance fondamentale. Il est à l’opposé du dernier Annie Leibovitz, un casting de portraits sans contenu, sans recul, avec une énorme complaisance, une caricature du “politically correct” féministe américain.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
L’actualité vue par Christian Caujolle
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°92 du 5 novembre 1999, avec le titre suivant : L’actualité vue par Christian Caujolle