Acteur, chanteur, metteur en scène et chorégraphe, Chen Shi-Zheng s’est fait connaître en Occident l’année dernière par la réalisation de l’intégrale du Pavillon aux pivoines, un opéra de 1598 en 55 scènes et qui dure 19 heures ! Après avoir collaboré à la création d’ouvrages contemporains, il met en scène ce mois-ci à Paris CosÁ fan tutte de Mozart et prépare son premier long-métrage, dont il sera également l’acteur principal. Né en Chine en 1963, il a émigré à l’âge de vingt-trois ans aux États-Unis. Il commente l’actualité.
Que pensez-vous de la protestation adressée par des artistes chinois à Cai Guo Qiang (le JdA n° 111). Ils l’accusent de plagiat et de s’être approprié leur travail collectif pour réaliser sa version du Rent Collector’s Courtyard (La Cour du collecteur de loyers), couronnée par le Prix international de la Biennale de Venise l’an dernier.
Je suis très surpris par cette réaction. Comment peut-on regarder le travail de Cai Guo Qiang uniquement sous l’angle du droit d’auteur et ne pas s’interroger sur le sens originel de La Cour du collecteur de loyers et sur sa signification dans la société chinoise aujourd’hui. Car, l’original est toujours exposé dans le Sichuan. Durant la Révolution culturelle, chaque enfant, comme moi, a vu cette œuvre. À tous, on a expliqué qu’elle stigmatisait l’histoire de la Chine ancienne, qu’elle montrait à quel point les propriétaires terriens maltraitaient les paysans et donc à quel point la révolution était nécessaire et était justifiée l’arrivée des communistes au pouvoir. Cette pièce était un socle de la propagande. Tout cela a été oublié depuis. Qu’un artiste la fasse resurgir en dehors du contexte et en dehors de Chine est un geste courageux pour la questionner. Les artistes qui ont créé l’œuvre au lieu de se poser des problèmes de droit d’auteur devraient plutôt s’interroger sur ce qui les a conduits, il y a trente ans, à la réaliser. La Révolution culturelle et ses excès dramatiques n’ont jamais été jugés véritablement au fond. Le chapitre a été rapidement clos en désignant la femme de Mao et la Bande des Quatre comme coupables. Le reste a été occulté. Il n’y a pas de quoi être fier d’avoir créé une telle œuvre de propagande. Je ne comprends pas que les années terribles de la Révolution culturelle ne conduisent pas ces artistes à une remise en question.
Cette réaction n’est-elle pas aussi le signe d’un sursaut nationaliste ?
Le nationalisme est toujours une solution politique très facile pour désigner des ennemis et éviter de s’interroger sur sa propre situation. Il est clair aussi que le succès de Chinois émigrés crée des envies et des jalousies.
Le long-métrage que vous préparez, The Dark Matter Problem, traite précisément du problème de l’émigration.
Il s’agit d’une histoire vraie, celle d’un astrophysicien qui a émigré aux États-Unis et n’a pu en fait s’adapter à une vie qui était totalement différente de celle qu’il attendait. Il s’est suicidé. Beaucoup d’intellectuels, d’artistes, de scientifiques ont quitté la Chine pour l’Occident. Certains ont réalisé ce qu’ils souhaitaient, d’autres ont été confrontés à un univers autre que celui qu’ils espéraient, à un autre système de valeurs. Bien que les informations circulent davantage, on peut se tromper totalement sur la vie que l’on peut avoir à Paris ou à New York. Cette question, je crois, n’a pas encore été traitée.
Quelles expositions avez-vous appréciées durant votre séjour parisien ?
J’ai eu malheureusement peu de temps. J’ai été impressionné par l’installation d’Anselm Kiefer, présentée dans le cadre du Festival d’Automne. Elle est fascinante car elle est réalisée dans un lieu sacré, la chapelle de la Salpêtrière. Il est passionnant de voir comment un artiste a pu utiliser cette chapelle pour créer une œuvre non pas vouée à Dieu mais à sa propre expression. Dans la philosophie chinoise, le sujet et le lieu doivent être en symbiose, et Kiefer y est parfaitement parvenu. Son installation a un impact beaucoup plus fort que si elle avait été dans une galerie. La chapelle lui donne une autre dimension. J’ai été intéressé aussi par l’exposition de photographes chinois à la galerie de Jean-Gabriel Mitterrand. J’y ai retrouvé un artiste que j’apprécie beaucoup, Zhang Huang, qui fait des performances qui sont ensuite photographiées par Rong Rong. J’ai été heureux de voir que Paris, comme New York, consacre des expositions à des artistes chinois contemporains. La Chine vit une période d’intenses bouleversements. Ceux-ci résultent de la tension entre l’ouverture au capitalisme et le maintien d’une idéologie ancienne, de la confrontation à l’Occident mais aussi de la confrontation de la Chine à sa propre histoire. Cette situation fait réagir les artistes et provoque des expérimentations remarquables. C’est pour cette raison, notamment, que les créateurs chinois intéressent aujourd’hui l’Occident.
Le Guggenheim consacre une grande exposition à Armani…
Cela pose plusieurs questions. J’aime la mode, mais ne prend-elle pas trop d’importance surtout quand il s’agit d’un créateur à la tête désormais d’une multinationale qui d’une manière ou d’une autre impose un certain style de vêtements ? Cela me rappelle la veste Mao… C’est un peu effrayant. Il y a déjà beaucoup de boutiques Armani à New York, que peut apporter une telle exposition ? Voir l’évolution de sa création peut-être, mais surtout voir comme son entreprise est devenue de plus en plus gigantesque. Un tel choix pose aussi la question de la motivation des musées. Cette fin de siècle montre à quel point certains sont orientés vers la consommation culturelle, développe des projets pour attirer des sponsors. Dans beaucoup de musées, les boutiques occupent de plus en plus d’espace, parfois avant même de pénétrer dans les salles d’exposition vous devez traverser la boutique. J’aime travailler à Paris, comme je viens de le faire au Théâtre des Champs-Élysées, ou l’année dernière pour le Festival d’Automne. Paris me paraît plus intéressé à l’art que New York. Aux États-Unis les enjeux financiers dépassent souvent les enjeux esthétiques. Combien va rapporter telle ou telle production devient la question majeure, au détriment de la réalisation artistique. C’est pourquoi j’ai toujours beaucoup de plaisir à venir travailler à Paris.
- COSI FAN TUTTE, direction musicale René Jacobs, mise en scène Chen Shi-Zheng, Théâtre des Champs-Élysées, 15 avenue Montaigne – 75008 Paris, du 12 au 22 octobre, location : 01 49 52 50 50.
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L’actualité vue par Chen Shi-Zheng
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°113 du 20 octobre 2000, avec le titre suivant : L’actualité vue par Chen Shi-Zheng