L’exposition « Cézanne en Provence » est l’occasion de se pencher sur les avancées dans la connaissance de l’œuvre du peintre. Un symposium à Washington a mis en évidence les travaux actuels des chercheurs.
Alors que l’exposition « Cézanne en Provence » s’achevait à la National Gallery of Art de Washington, le musée a organisé, le 6 mai, un symposium ouvert au public autour de l’œuvre de Cézanne. Placé sous l’égide de Philip Conisbee, conservateur en chef du département des peintures européennes et co-commissaire de l’exposition, le colloque a accueilli cinq intervenants, pour la majorité des universitaires : Theodore Reff, professeur émérite d’histoire de l’art, Columbia University (New York) ; Richard Shiff, professeur d’histoire de l’art, University of Texas à Austin ; l’Allemand André Dombrowski, enseignant d’art et d’architecture moderne et européenne, Smith College (Northampton, Massachusetts) ; Kathryn A. Tuma, professeur assistante d’art moderne, Johns Hopkins University (Baltimore, Maryland) ; et le Français Joachim Pissarro, conservateur au département des Peintures et Sculptures du Museum of Modern Art (MoMA), à New York. « Nous avons décidé de ne pas inclure les personnes ayant contribué au catalogue de l’exposition, de manière à bénéficier d’opinions différentes. Nous sommes allés chercher trois éminents spécialistes dans le domaine, Joachim Pissarro, Theodore Reff et Richard Shiff, et deux jeunes scientifiques aux idées novatrices, André Dombrowski et Kathryn A. Tuma. Nous souhaitions vraiment confronter les grands noms aux nouveaux chercheurs », nous a déclaré Philip Connisbee pour justifier son choix des participants.
La thématique du sauvage
Le dernier colloque français sur Cézanne remonte à 1995 ; il fut organisé au Musée d’Orsay, à l’occasion de la rétrospective des Galeries nationales du Grand Palais. Si John Rewald (1912-1994) est considéré comme le père fondateur de la recherche sur Cézanne, où en est cette dernière aujourd’hui ? « Il reste beaucoup de choses à dire, soutient Philip Connisbee. John Rewald a essentiellement compilé le catalogue raisonné et la biographie de Cézanne. Mais il y a encore un grand travail d’interprétation à faire à partir des propos de l’artiste, qu’ils soient extraits de ses lettres ou de ses conversations avec Louis Gasquet, Émile Bernard et Maurice Denis. Comment ces propos sont-ils reliés à ses tableaux ? Puis, la chronologie, restée intacte depuis les années 1930, nécessite aussi une révision. Enfin, John Rewald étant un historien seulement intéressé par les faits, la fortune critique de Cézanne, d’hier à aujourd’hui, est encore à étudier. »
Theodore Reff a ainsi analysé l’admiration qu’éprouvait Cézanne pour le fougueux sculpteur du XVIIe siècle Pierre Puget, et, à travers lui, pour Michel-Ange et Pierre Paul Rubens. À l’instar de Denis Coutagne, co-commissaire de l’exposition (lire page 16), André Dombrowski a relevé les divergences d’ambition entre Cézanne et ses amis impressionnistes, tous peintres de la vie moderne. L’Aixois fuit la futilité des déjeuners sur l’herbe pour un style à contre-courant, psychologique et expressif. Dans une autre veine, Richard Shiff s’est attelé à la thématique du « sauvage ». Cézanne ayant longtemps été considéré comme marginal, un sauvage retourné à l’état naturel, sa peinture aurait été envisagée par la critique de l’époque comme telle. Le caractère abstrait de ses œuvres, lesquelles ont tourné le dos au classicisme, dénoterait le tempérament du peintre, lequel se serait littéralement « abstrait » de la vie normale. Par ailleurs, Cézanne s’est lamenté toute sa vie d’avoir échoué, conduisant Kathryn A. Tuma à se pencher sur les conséquences d’une telle conviction personnelle. Car, pour que le peintre conçoive l’échec, il devait avoir une idée claire de son objectif. Se concentrant sur les dernières années du peintre, Kathryn A. Tuma a notamment relevé le vocabulaire scientiste de l’artiste, comme s’il envisageait de trouver la vérité par la science. Cette obsession de l’échec est manifestement liée à la « vérité de la peinture » selon Cézanne, sujet d’étude choisi par Joachim Pissarro, celle qu’il promet à Émile Bernard avant de décéder et d’emporter son secret dans la tombe. Les natures mortes et les portraits de l’artiste constituent l’illustration parfaite de cette quête qui n’a rien à voir avec celle des artistes du XVIIe siècle. Contrairement à la recherche d’une vraisemblance, devenue obsolète depuis l’invention de Daguerre, cette vérité serait le reflet de l’âme de la personne ou de l’objet peint – un concept déjà effleuré en littérature par l’ami intime du peintre, Émile Zola, et surtout imaginé par les romantiques d’Iena dans les années 1790.
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À la recherche de Cézanne
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°237 du 12 mai 2006, avec le titre suivant : À la recherche de Cézanne