MONDE
« Volés dans les musées ou, le plus souvent, arrachés à même le sol de sites archéologiques, ces objets trafiqués empruntent des chemins illégaux trop fréquentés par les Antiquités. » France Desmarais, directrice des programmes et des partenariats de l’Icom.
Alors que les listes rouges sur le patrimoine se succèdent, arrive-t-on à mesurer leur impact et plus largement celui des dispositifs de protection ?
Nada Al Hassan Bien sûr que la liste rouge est utile. Des œuvres ont été interceptées grâce à cet outil qui aide à sensibiliser les douanes aux objets susceptibles d’être exportés illégalement. Quand une pièce ressemble à d’autres biens référencés, on peut en contester la vente. À long terme, cela permet aussi de garder une trace, de documenter ces objets.
L’action de l’Unesco n’est pas punitive, en quoi est-elle efficace ?
L’Unesco travaille sur cette question à partir de la convention pour la lutte contre le trafic illicite de 1970. Quand il y a un conflit armé, nous rappelons aux pays leurs obligations, qu’ils sont tenus de renforcer les contrôles aux frontières et d’empêcher le commerce d’objets. Dans les conflits récents, le patrimoine est au centre des enjeux humanitaires et sécuritaires.
Il est pris en otage pour gagner la guerre psychologique, persécuter des minorités, imposer une idéologie et secouer la mémoire d’un peuple, son identité. Les fouilles illégales ont atteint une échelle inégalée, les sites sont fouillés systématiquement, et le patrimoine bâti est grandement détruit par les bombardements, les tirs, les explosions souterraines et le vandalisme. C’est nouveau dans notre histoire contemporaine, et les États membres de l’Onu commencent à se rendre compte que le patrimoine est devenu un élément du conflit.
Les conventions internationales ne comportent pas de sanction, en revanche, elles alimentent des décisions et résolutions de l’Onu qui, elles, peuvent mener à des sanctions. Dans le cadre de la lutte anti-terroriste, il y a notamment une résolution qui s’applique aux États membres et qui empêche le commerce d’œuvres en provenance de Syrie.
Il y a beaucoup d’acteurs dans le patrimoine, comment assurer la coopération entre les interlocuteurs ?
Nous essayons vraiment de coordonner, c’est notre rôle en tant qu’organisation internationale. Cela fonctionne mieux dans certains pays que dans d’autres. Par exemple, en Syrie, il y a eu de nombreux chercheurs et missions archéologiques, car le pays était d’un accès facile jusqu’en 2011. Nous réunissons tous les acteurs et essayons d’harmoniser le travail. C’est plus difficile pour le Yémen où il y a moins de relevés, moins d’études, pareil en Lybie et en Irak. Nous disposons d’un observatoire pour la Syrie et nous sommes en train de créer la même structure pour tous les pays.
Voyez-vous des raisons d’être optimiste ?
C’est difficile. Quand je vois la success story du Mali, oui, je suis optimiste. La population y a pris une part très active dans la reconstruction des mausolées détruits intentionnellement et dans la sauvegarde des manuscrits. Mais le contexte du Moyen-Orient est cent fois plus compliqué encore. Nous faisons des plans d’action, nous trouvons de l’argent, nous mettons des choses en œuvre, mais ce n’est rien par rapport à la destruction. Un des enjeux est aussi la reconstruction, l’après-guerre. Il faut veiller à ce qu’elle se fasse en prenant en compte les valeurs patrimoniales et ne pas faire table rase comme certains le voudraient. Par exemple, à Alep, il y a déjà des gens qui achètent des terres et qui ont des plans de reconstruction avec des buildings comme à Dubaï. Avant de reconstruire cette ville antique, il faudrait au contraire prendre le temps de procéder à des fouilles de sauvetage qui permettront certainement de découvrir beaucoup de choses.
La liste rouge
Établie par le Conseil international des musées (Icom), elle recense les catégories de biens culturels protégés par la législation les plus exposés au trafic.
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Listes publiées depuis 2000 dont l’Afghanistan, l’Irak, la Syrie et l’Égypte. La dernière en date concerne la Lybie. L’Afrique de l’Ouest et le Yémen sont en préparation.
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La protection du patrimoine en zones de conflit
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°689 du 1 avril 2016, avec le titre suivant : La protection du patrimoine en zones de conflit