Si le Mois de la Photo en est à sa dixième édition, la multiplication récente d’autres manifestations – comme le salon Paris Photo qui se tient pour la deuxième fois au Carrousel du Louvre – a beaucoup modifié la situation dans un secteur culturel qui paraissait ne jamais vouloir “décoller�?, malgré l’abondance, la qualité, l’intérêt patrimonial de la matière première : la photographie.
Une évidence martelée depuis longtemps par quelques-uns semble maintenant admise par un plus grand nombre : si le XXe siècle a été ce qu’il est, c’est grâce à ou à cause de la photographie. On pense particulièrement à son rôle médiatique – plus justement, de médiation – et à son mode d’accès au réel, même illusoire, qui a modelé les schémas de pensée. Un médium à ce point présent dans toutes les étapes de la vie quotidienne ou intellectuelle, dans tous les moyens d’acquisition et de circulation des connaissances, dont le principe a permis l’invention du cinéma et de la télévision et qui a produit en cent soixante ans des milliards d’images toujours étonnantes, employé des millions de professionnels de par le monde pouvait-il susciter aussi peu d’intérêt à une époque qui se gargarise de patrimoine, d’art et d’images ?
Certes, il ne faut pas négliger, à côté des initiatives individuelles qui ont toujours précédé les compétences institutionnelles – on se souviendra amèrement de la collection Cromer, refusée par l’État français et vendue à Kodak-Rochester –, le travail des années quatre-vingt qui a lentement amené un public susceptible d’aller au-delà d’une lecture anecdotique des images. Le Centre Pompidou depuis 1976, le Mois de la Photo depuis 1980, le Centre national de la photographie et la collection “Photo Poche” depuis 1982, les expositions du Musée d’Orsay ou de la Bibliothèque nationale, celles de la Mission du patrimoine photographique, les manifestations œcuméniques de 1989 (cent cinquantenaire de l’invention) ont tenu leur rôle de formation progressive. La ténacité des galeries, la constance des ventes aux enchères spécialisées, la mise en place d’enseignements, de revues historiques et critiques, la publication de livres d’études ne se consacrant pas seulement aux images, sont également déterminants (et ceci n’est pas un palmarès).
Un ajustement salutaire
Force est de constater toutefois que depuis un an environ, en France comme aux États-Unis qui nous ont en bien des choses devancés, la photographie est l’objet d’un véritable boom qui se manifeste à la fois par l’augmentation des ventes aux enchères, par l’intérêt du matériel vendu, par le sérieux des catalogues... et surtout par les prix atteints. Selon la loi du marché qui veut que la cote augmente avec la demande, la photographie est entrée dans une ère parfois dérapante où des disponibilités financières colossales ne demandent qu’à se poser sur un artefact plastique subtil, sous-évalué, peu encombrant, qui plus est lié à diverses activités de l’art et de l’intelligence – idéalement culturel, en somme. Il suffit que deux fortunes se disputent, pour des raisons difficilement discernables, une image supposée rare pour que les records soient battus. Et l’on sait que des photographies du XIXe ou du XXe siècle atteignent couramment, depuis deux ou trois ans, les 500 000 francs, et que l’on dépasse maintenant le million de francs, avec le sentiment déculpabilisé d’un juste retour des choses (les prix affichés au salon Paris Photo en témoignaient déjà en 1997, sans parler de ceux pratiqués à l’AIPAD de New York depuis quelques années).
S’il est difficile de porter un jugement sur ce qui peut paraître excessif, il faut reconnaître que l’ajustement en cours est salutaire, car il fait de toute photographie quelle qu’elle soit, de maître, d’artisan ou d’amateur, un “objet de valeur” : valeur sentimentale, valeur historique, valeur factuelle ou valeur financière, l’heure n’est plus à la distinction. Mais c’est par cette reconnaissance de valeur qu’une photographie devient un monument, au sens propre et originel, pièce à conviction d’un état antérieur des choses. C’est par là aussi qu’elle peut se soustraire à l’indifférence et à l’élimination systématique, au moins temporairement. Cet espoir est sans doute l’une des bonnes perspectives de la fin de siècle.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
La photographie est un « objet de valeur »
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°70 du 6 novembre 1998, avec le titre suivant : La photographie est un « objet de valeur »