Courbée sur le trottoir, une dame a bloqué son Caddie pour tendre un œil vers la porte cochère. Que fait-on là ? « Une galerie, madame », répond un ouvrier qui dépose à ses pieds un sac de gravats.
La scène se passe dans la rue du Bourg-Tibourg, du Bourtibou, du Bourc-Tibout, du Bouc-Thibout, du Bourg- Thiboud, du Beautibourg, à deux pas de Beaubourg, où cette dame a vu, de ses yeux vu les tuyaux de couleur du Centre Pompidou monter en mikado du ventre de la plaine. Au numéro 18, dans les années 1960, elle jure qu’on garait des taxis. Juste là, il y avait une guérite où les chauffeurs s’acquittaient de leur place et là, où se tient l’ouvrier, une fosse à vidange dont peut-être on sentait les effluves en passant. Ensuite, un artiste est venu qui, dit-elle, « a fini sur des timbres… »
C’est de Jean Dewasne dont parle cette aimable commère. Dans l’atelier tout en verrières, comme le notait Maurice Bruzeau, ici et là des plantes vertes, mais partout, sur le blanc de cet ancien garage, « les rouges, les bleus et les verts ou les jaunes ». La dame, qui dit n’avoir rien vu de lui, se trompe : si Beaubourg ressemble au cube de Rubik, c’est que le peintre a convaincu Piano de « rendre à la cou-leur ce qui appartient à la couleur ». La plomberie du Centre Pompidou, au moins la bleue, est signée Jean Dewasne. Pour le reste, il n’y a qu’à voir dans ses tableaux les lourdes mécaniques tracées au millimètre près. Le peintre-ingénieur est resté là jusqu’à ne plus être, au beau milieu de ses antisculptures données 20 ans plus tard aux Musées de France. À peine vidé, ou presque, le garage refait le plein dare-dare. Nathalie Obadia, venue de quelques pas de là, y installe sa nouvelle galerie. On dirait son chantier un hommage à Dewasne : des câbles électriques de toutes les cou- leurs s’emmêlent et les échafaudages, démontés au hasard, ont trait pour trait les formes de l’industrie qui flottent aux surfaces laquées de l’abstraction constructive. Sous sa verrière réduite, le numéro 18 de la rue du Bourg-Tibourg gît alors sous les « tas de chapi- teaux ébauchés et de fûts » qui courent dans la modernité des tableaux parisiens. Du maître d’œuvre au plus petit écrou, chacun trouve sa place dans le vacarme du changement. Il n’y a que cette dame, toujours accrochée à son Caddie, qui se sent comme le cygne du poème de Baudelaire, rivé à sa mélancolie. Son « vieux Paris n’est plus (la forme d’une ville change plus vite, hélas ! que le cœur d’un mortel) ».
où ?
18, rue Bourg-Tibourg,
Paris-4e.
comment ?
www.galerie-obadia.com
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La nouvelle Galerie Obadia
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°655 du 1 mars 2013, avec le titre suivant : La nouvelle Galerie Obadia