Le design italien, très marquant au cours des années 1970-1980, a la faveur des nostalgiques de ces années. Mais les collectionneurs ne sont pas disposés à dépenser des fortunes pour des meubles qui ont été très diffusés.
Deux ans après Christie’s (1), la maison de ventes Camard, leader européen dans les ventes d’arts décoratifs du XXe siècle, organisait le 10 juin 2002 “Made in Italy”, sa première vacation consacrée exclusivement aux créations italiennes des années 1940 à la fin des années 1960. Écarter les années 1970 et surtout les années 1980 est un choix délibéré de Jean-Marcel Camard qui s’explique : “Je cherche des pièces qui ne sont plus éditées. Or Memphis diffuse toujours. Je n’en veux pas beaucoup dans mes ventes.” Si, pour certains, cette production est résolument passée de mode, pour d’autres au contraire, il s’agit de s’entourer d’objets caractéristiques d’une époque d’euphorie qui a fait écho en Europe à une peinture figurée très colorée. Les amateurs viennent chiner à partir de quelques dizaines d’euros des luminaires non signés en plastique ou verre de couleurs. Ils sont prêts à dépenser 3 700 euros pour un canapé Bocca de Studio 65, édité par Gufram dès 1972 (Paris, Cornette de Saint Cyr, le 25 avril 2001) ou 14 000 euros pour une édition épuisée de table de salle à manger Sansone Due (éd. Cassina, 1987) de Gaetano Pesce (Paris, Cornette de Saint Cyr, le 25 mars 2002). Axel Rajon, spécialiste auprès de la SVV Versailles enchères, parie sur “ces années fétiches”, version bois laminé de couleur. La plupart des créations italiennes des années 1980 n’ont cependant pas de véritables cotes puisqu’elles sont encore disponibles chez les éditeurs. “Ce sont des pièces de collection dans la mesure où il s’agit de meubles d’artistes, des créations qu’on ne trouve pas à Paris en dehors des ventes publiques”, défend Axel Rajon. Les acheteurs font en réalité de bonnes affaires lorsqu’ils acquièrent des lots à moitié, voire au tiers du prix du neuf. Le meuble convoité doit bien sûr être dans un état impeccable. La bibliothèque Carlton en bois laqué et plastique laminé, un modèle emblématique d’Ettore Sottsass, et le cabinet Berverly en bois en plastique laminé, édités par Memphis depuis 1981, se sont respectivement vendus 9 300 euros et 4 700 euros à Versailles le 18 mars 2001. Selon l’expert, “la valeur de ces pièces va certainement décupler dès l’arrêt de la production.” Pour l’instant, les trois classiques du designer produits par Memphis, la bibliothèque Carlton, le modèle Casablanca et le cabinet Beverly sont aussi régulièrement ravalés faute d’enchérisseurs.
La maison Cornette de Saint Cyr est sans doute le plus gros organisateur de ventes design post-1950 de la capitale, avec cinq ventes annuelles en moyenne et un chiffre d’affaires de 2,5 millions d’euros de produit “design” en 2001 (2). Concernant les productions italiennes, l’expert maison Emmanuel Legrand avoue se prendre au jeu du designer Gaetano Pesce, en particulier pour la série éditée par Fish Design de petits meubles, luminaires et objets en résine molle, une production toujours en cours depuis les années 1970. Les dernières productions des années 1990, des modèles épuisés de Fish Design, se vendent bien comme l’a prouvé la vente du 11 juin 2002 à Drouot : 1 600 euros trois tables gigognes rouge, blanc, vert, Triple Play (1994) ; 1 500 euros en moyenne pour une applique ; de 500 à 7 400 euros le vase, et jusqu’à 7 000 euros pour une lampe. C’est un canapé du créateur qui a caracolé en tête de la vacation du 25 avril 2001. Le Cannaregio (éd. Cassina, 1987), composé de neuf éléments modulables en mousse et tissu a été adjugé 12 200 euros. Il était précisé au catalogue que le lot, sans doute issu des cinq premières commandes, provenait d’une collection particulière milanaise. Un autre canapé, le modèle Tramonto à New York (éd. Cassina, 1979) en polyuréthane et tissu, et surtout neuf dans son emballage d’origine, a atteint 14 000 euros le 25 mars 2002 à Drouot. Ces deux canapés sont parmi les rares que Gaetano Pesce a réalisés. Diffusés en très faible quantité et souvent sur commande eu égard à leur coût élevé, ils attirent aujourd’hui l’attention des collectionneurs.
Alessandro Mendini, dont les créations sont moins souvent présentes en ventes publiques, est un designer apprécié. Le 13 novembre 2002 chez Tajan, un amateur a acheté pour 2 100 euros un buffet en stratifié gris (éd. Nuova Alchimia & Zabro) au décor polychrome abstrait. Son fauteuil baroque Proust au décor pointilliste peint à la main (éd. Studio Cappellini, 1978) est parti à 9 800 euros, soit près de trois fois l’estimation (Paris, Cornette de Saint Cyr, le 25 avril 2001). Un autre exemplaire du fauteuil Proust réalisé en 1987 pour Studio Alchimia a été adjugé pour la même somme à Londres chez Sotheby’s le 2 mars 1999. Dans cette même vente, ont également été dispersés, pour respectivement 3 600 euros et 2 000 euros, le prototype d’une chaise longue en bois laminé jamais commercialisée, dessinée en 1983 par Andrea Branzi pour Memphis, et le prototype de la table basse President en marbre et plateau de verre, conçue en 1983 par Michele de Lucchi pour Memphis et dont la production s’est arrêtée. La fin de fabrication d’un objet ou sa diffusion contrôlée à quelques dizaines d’exemplaires semble rassurer l’acheteur, qui devient collectionneur, à condition que le prix demandé reste raisonnable. Une corbeille à fruits Lestino Mauryan en marbre et pierre (1985) et un vase German silver en bois, cuivre et argent (réalisé en Inde en 1985), deux objets d’Ettore Sottsass, ont été vendus à 1 900 et 2 440 euros. Le catalogue précisait pour ces deux lots une édition à 3 x 12 exemplaires. La plupart du temps, les catalogues de vente ne fournissent pas d’informations claires et précises, peut-être par manque de temps pour la recherche. Les termes “conçu en”, “édité en”, “édition limitée”, “production épuisée”, “pièce unique” sont des mentions qui font encore trop cruellement défaut en salles des ventes.
(1) La vente “Italian Design” de Christie’s a eu lieu à Londres le 9 juin 1999.
(2) La prochaine vente aura lieu le 26 janvier à Drouot-Richelieu. Rens. 01 47 27 11 24.
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La nostalgie du meuble italien
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°162 du 10 janvier 2003, avec le titre suivant : La nostalgie du meuble italien