Le Musée du quai Branly ouvre, à Paris, ses espaces aux cultures de l’Arctique. Trois cents pièces pour la plupart inédites évoquent ces peuples du Grand Nord.
Territoire immense se déployant du détroit de Béring au Groenland, du Nord-Est de la Russie au Canada et l’Alaska, l’Arctique, malgré son actualité alarmante, ne saurait se départir de cette sensation d’intemporalité et d’éternité qu’il procure. Le Musée du quai Branly, à Paris, tente aujourd’hui d’en dessiner les contours à travers les œuvres des diverses cultures regroupées sous l’appellation d’« Esquimau », aucun consensus n’ayant été trouvé quant à un terme global pour définir les peuples de l’océan glacial Arctique. Ainsi, chez les actuels Yup’ik du littoral de la Sibérie et de l’Alaska, « Esquimau » fait référence aux nombreuses tribus qui constituent ce peuple, en opposition aux Inuits, qui eux réfutent ce terme considéré comme péjoratif. Au-delà de ces questions de sémantique, il s’agit aujourd’hui d’« explorer la relation entre l’environnement exigeant de l’Arctique et le développement de la culture visuelle des peuples de la Sibérie au Canada », explique le commissaire de la manifestation, Edmund Carpenter, cinéaste et anthropologue, spécialiste des peuples autochtones du Canada arctique et de la Sibérie, sur le terrain dès les années 1950. Parmi les objets les plus anciens de l’exposition, figurent une série d’amulettes, talismans et vaisselles sacrificielles réalisés en défenses de morse par les artisans de la culture Ekven, du nom du site néolithique où ils furent découverts, près de la pointe Est de la Sibérie.
Art des cultures nomades
Vieux de 1 500 ans, le Phoque nageant et la statuette d’Ours aux oreilles, prêtés par le Musée d’État d’art oriental de Moscou, ou encore le Janus aux deux visages, témoignent d’une grande maîtrise technique et d’une réelle originalité stylistique. Ces productions artistiques sont résolument indissociables des conditions climatiques extrêmes de l’Arctique et de cette « absolue nécessité » de s’y adapter, comme le soulignent dans le catalogue Mikhail Bronshtein et Kirill Dneprovsky, responsables des fouilles du site d’Ekven et conservateurs au Musée d’État d’art oriental de Moscou. L’art serait, selon eux, devenu « la sphère d’activité qui, avec un sentiment de plénitude très particulier, permettait aux tout premiers chasseurs de se percevoir comme partie intégrante du monde arctique », transformant leur rapport au Grand Nord, permettant de prendre conscience de leur appartenance à une communauté et de s’affirmer socialement. La culture Ipiutak, dont l’histoire remonte à plus de 2 000 ans, doit elle aussi son nom au site où les archéologues l’ont découverte, à Point Hope, en Alaska. À la fin des années 1930, l’archéologue danois Helge Larsen y a mis au jour un lotissement de plus de soixante-dix habitations et un cimetière. Nomades saisonniers passant l’hiver et l’automne à l’intérieur des terres, les Ipiutak travaillaient l’ivoire de morse et le bois. Ils confectionnaient des armes de chasse et des outils de cuisine aux motifs géométriques mais aussi réalistes : des visages stylisés ornés de tatouages et nombre de figures zoomorphes, animaux du quotidien ou bestiaire fantastique. Destiné à recouvrir le visage du défunt pour le protéger des mauvais esprits, le masque gravé composé de plusieurs pièces d’ivoire ne manquera pas de saisir le spectateur. Intimement lié à la magie, l’art aidait à établir des contacts avec le monde naturel. C’est le propre des masques yup’ik qui étaient fabriqués pour des cérémonies et généralement détruits ensuite. Suspendus ou portés par un danseur, très variés dans leurs expressions, leurs gabarits et leurs ornementations, ils permettent de pénétrer l’esprit des éléments ou créatures qui y étaient figurés. Ces « représentations masquées éclairaient d’une part des événements extraordinaires du passé, tout en étant le présage d’espoirs futurs », précise encore l’anthropologue Ann Fienup-Riordan. Des propos qui font écho à l’ouvrage d’Edmund Carpenter paru en 1973, dans lequel il précisait déjà que « l’art pour les Esquimaux constitue une activité, non un objet ; un rituel, non une possession ». C’est dans ce souci de respecter les cérémonies de l’Agayuyaraq (manière de faire une requête) que l’exposition a été conçue. Pour mettre en scène les quelque cinq cents objets, prêtés par la Rock Foundation de New York, mais aussi le Canada, la Russie, la Nouvelle-Zélande ou le Musée d’archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye, Edmund Carpenter a fait appel à l’artiste Doug Wheeler qui a créé un « environnement arctique » pour tenter de retranscrire la « blancheur omniprésente » de la banquise qui confond la terre et le ciel, privant l’homme de toute perspective et du moindre repère. « Je souhaite que les visiteurs de l’exposition vivent une expérience phénoménologique spatiale telle que leur trajet jusqu’au musée, les rues de Paris ou n’importe quelle autre pensée qui occupait leur esprit à leur arrivée soient complètement effacés. » Les objets s’offrent ainsi au visiteur dans un espace blanc immaculé. D’une grande pureté plastique, ces œuvres témoignent aussi de la fragilité d’un monde dont dépend l’équilibre planétaire. Alors que sa banquise diminue de manière spectaculaire depuis trente ans, promettant son lot de catastrophes climatiques, l’Arctique attise l’appétit des pays riverains, la Russie, les États-Unis, le Canada et la Norvège, qui entendent profiter du réchauffement climatique pour y exploiter de potentielles réserves d’hydrocarbures et contrôler de nouvelles voies maritimes…
- Commissaires : Edmund Carpenter ; Sean Mooney
- Nombre d’œuvres : 300
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La Nébuleuse de l’Esquimau
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Abonnez-vous dès 1 €UPSIDE DOWN - LES ARCTIQUES, jusqu’au 11 janvier 2009, Musée du quai Branly, 37, quai Branly, 75007 Paris, tél. 01 56 61 70 00, www.branly.fr, tlj sauf lundi (exceptées vacances scolaires), 11h-19h et 21h jeudi, vendredi, samedi. Catalogue, éditions RMN, 256 p., 45 euros.
Parallèlement, le musée accueille l’exposition « L’esprit Mingei au Japon – de l’artisanat populaire au design » conçu par Germain Viatte et Akemi Shiraha (lire le JdA n°280, 25 avril 2008, p. 19).
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°288 du 3 octobre 2008, avec le titre suivant : La Nébuleuse de l’Esquimau