La Cour des comptes étrille l’administration des églises appartenant à la France.
Paris. Ce n’est pas un rapport, c’est un réquisitoire. La Cour des comptes s’est une nouvelle fois penchée sur les activités des Pieux Établissements de la France à Rome et Lorette. Ses mots ne sont pas assez durs pour dénoncer une « administration défaillante », une « gestion opaque et artisanale » et des « dérives » dans l’entretien d’un patrimoine immobilier, spirituel et culturel « d’une valeur considérable ». « Les carences sont nombreuses et manifestes », insistent les auteurs du rapport publié le 2 septembre qui préconisent de « mettre un terme sans délai aux errements constatés ». Ils évoquent l’hypothèse de la création d’un établissement à autonomie financière ou d’un établissement public.
Dans un précédent contrôle en 2002, la Cour avait déjà relevé de graves manquements dans la gestion de cette institution bien connue à Rome. Deux décennies plus tard, rien n’a changé. « La situation constatée à l’époque s’est même aggravée », déplorent les auteurs du rapport qui dresse un bilan accablant de la gestion des Pieux Établissements de la France entre 2015 et 2022.
Placés sous l’autorité de l’ambassade de France près le Saint-Siège, « les Pieux », comme on les appelle dans la Ville éternelle, ont une histoire pluriséculaire. Elle remonte à la fin du XVe siècle. Dès l’époque médiévale, des confréries françaises s’installent à Rome autour de quelques églises pour accueillir pèlerins et malades. Au fil du temps, un imposant patrimoine immobilier et culturel se constitue. Il représente aujourd’hui cinq églises, dont La Trinité-des-Monts et Saint-Louis-des-Français abritant trois œuvres murales inestimables du Caravage, mais aussi 13 immeubles, 148 appartements et 31 magasins en plein cœur de la capitale italienne, lesquels génèrent des revenus d’environ 5 millions d’euros chaque année.
Le rapport de la Cour des comptes a été écrit au vitriol. Il pointe du doigt une gestion « approximative ». À sa lecture on plonge dans un « monde laxiste » reposant sur « de petits arrangements » où les « carences sont nombreuses et manifestes ». Les magistrats fustigent ainsi une « politique opaque d’attribution et de fixation des loyers » du parc immobilier, en moyenne « en dessous de la fourchette basse » dans ces quartiers recherchés, et « des avantages peu justifiés octroyés à de nombreux locataires ». Des « petits arrangements » qui lui font perdre « près de 50 % » de son revenu potentiel. La Cour estime la valeur des bâtiments à 213 millions d’euros pour un revenu de 4,6 millions. Des résultats médiocres au regard des investissements significatifs effectués depuis quinze ans sur ce patrimoine, s’élevant à plus de 23 millions d’euros.
Ce « manque de professionnalisme » est aggravé par une gestion « extra-comptable » de certains comptes bancaires ouverts à l’Institut des Œuvres de la religion (IOR), dit la « banque du Vatican ». Ils ont été gérés « hors comptabilité, de façon opaque et irrégulière par les administrateurs et les trésoriers, qui n’en rendaient pas compte de manière détaillée aux ambassadeurs qui auraient pourtant dû autoriser les opérations ». Ces fonds ont été utilisés au cours du temps pour de nombreux paiements en espèces, comme les rémunérations qu’ont continué à percevoir l’administrateur et le trésorier malgré l’interdiction formelle de l’ambassadeur en 2005.
Outre le manque de coopération de la part des Pieux Établissements dans son opération de contrôle, la Cour des comptes dénonce le manque de transparence concernant un immense patrimoine culturel qui comprend plusieurs milliers d’objets et d’œuvres, dont certaines mondialement célèbres comme le cycle de saint Matthieu de la main du Caravage à Saint-Louis-des-Français [voir ill.]. Un patrimoine aux contours imprécis géré sans priorité ni réflexion stratégique. Ni les églises ni les collections ne sont inscrites au bilan comptable et « aucune estimation de la valeur de ces œuvres n’a été réalisée ». Ces lacunes entraînent des « risques de dépossession qui se sont, pour certains, déjà concrétisés », affirme le rapport. « Un retard inquiétant a été pris dans l’actualisation d’un inventaire partiel, réalisé en 2006, et dans la réalisation d’un plan de sauvegarde pour la protection des œuvres en cas d’incendie. Aucun récolement n’a d’ailleurs été effectué pour vérifier l’intégrité des objets et œuvres inventoriés », déplorent les magistrats.
Les Pieux Établissements ne procèdent à aucun appel d’offres public pour les travaux d’entretien. Des travaux confiés à un petit nombre d’entreprises seulement, entraînant un « risque de surfacturations importantes ». Le rapport mentionne par ailleurs « une coopération défaillante avec le ministère de la Culture », notamment sur les consignes anti-incendies, ce qui fait courir « un risque avéré pour la sécurité des biens et des personnes ».
Les magistrats s’alarment de la totale passivité des autorités françaises qui n’ont rien fait bien qu’elles aient été informées de ces dérives. Estimant que « la responsabilité des ambassadeurs et de l’État est engagée » et que ce dernier « doit mettre un terme sans délai aux errements constatés », elle estime que le cadre juridique « doit impérativement évoluer » et évoque la création d’un établissement à autonomie financière ou d’un établissement public. Une option qui « n’est pas viable », notamment au regard de l’impératif de laïcité, a déjà répondu le ministère des Affaires étrangères.
La Cour des comptes constate enfin, à l’approche du Jubilé, qui verra converger des millions de visiteurs à Rome en 2025, « une action culturelle embryonnaire » et une mise en valeur « insuffisante » de Saint-Louis-des-Français. Elle recommande ainsi d’actualiser au plus vite l’inventaire mobilier des Pieux Établissements, d’effectuer le récolement, d’élaborer des programmes de restauration, des plans de sauvegarde et des dispositifs de conservation préventive sous la responsabilité du ministère de la Culture. Elle demande en outre de définir au plus vite une stratégie d’action intégrant une politique d’édition, d’ouverture au public et de recours au mécénat.
Dans sa réponse, le ministère des Affaires étrangères souligne qu’un « impératif de transformation » est mis en œuvre depuis 2021, répondant à plusieurs recommandations de la Cour (attribution des logements, professionnalisation de la gestion…), tandis que d’autres sont en cours d’application (mesures anti-incendie notamment).
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La mauvaise gestion des Pieux Établissements français à Rome
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°639 du 20 septembre 2024, avec le titre suivant : La mauvaise gestion des Pieux Établissements français à Rome