Les foires « off » se multiplient à Bâle. À côté des événements traditionnellement consacrés aux plus jeunes galeries, de nouveaux salons apparaissent. Le design fait son entrée, mais aussi une improbable foire latino
Le bourgeonnement des événements alternatifs observé à Miami se révèle contagieux. Jamais Bâle n’a connu autant de foires off que cette année ! Même si Samuel Keller, directeur d’Art Basel, accorde une bénédiction plus ou moins distante à ces excroissances, le contexte diffère de celui de Miami. En Floride, Art Basel Miami Beach a besoin de la dynamique des foires alternatives pour appâter les collectionneurs. À Bâle en revanche, la foire s’est toujours largement suffi à elle-même. Malgré les discours officiels de ces petites greffes, la lisière entre complémentarité et concurrence est des plus ténues. Le parcours VIP d’Art Basel a, du coup, fait un tri en n’indiquant que les vernissages de Liste et de Design Miami Basel, dont les horaires ne chevauchent pas ceux de la foire principale (1).
En fêtant cette année ses 10 ans, Liste relève aujourd’hui plus de l’institution que de la foire off. Jusque-là, elle jouait le rôle d’incubatrice pour les propositions émergentes. Malgré le bric-à-brac des accrochages, la foire était régie par des règles strictes interdisant plus de trois participations. La donne change cette année, comme le prouve la présence de Grégoire Maisonneuve (Paris), lequel expose pour la quatrième fois avec, pour l’occasion, un one-man-show de Ralph Samuel Grossmann. D’une certaine façon, Liste rend la monnaie de sa pièce à Art Basel, qui empiète sur son créneau avec la section « Art Premiere » (lire p. V). Ce léger bras de fer génère un brouillage des codes de répartition entre galeries jeunes et confirmées. Normalement, une galerie qui bascule de Liste à Art Basel n’a pas pour vocation d’y revenir. Or Christina Wilson (Copenhague), qui avait participé à « Art Statements » l’an dernier, renoue avec Liste. De même y retrouve-t-on une ancienne recrue, la galerie Jousse Entreprise (Paris). Cosmic (Paris) fait pour sa part sa première entrée, en conviant les artistes les plus jeunes de son écurie. Avec pour fil conducteur le travail sur la transformation des objets d’usage quotidien, elle tente de relier les œuvres de James Hopkins, Piero Golia et Benoît Broisat. La prime à la fraîcheur se maintient avec l’arrivée de Cortex Athletico (Bordeaux), laquelle propose un one-man-show de Benoît Maire. « C’est la foire qui me faisait le plus envie, là où on peut parler du travail des artistes et pas seulement du prix. C’est plus tonique, prospectif », observe Thomas Bernard, de la galerie bordelaise.
En s’affirmant comme une plate-forme d’attente – et non de mûrissement – pour des enseignes d’âge et de taille intermédiaires, Liste joue sur les plates-bandes de VOLTA. Initiée en 2005, celle-ci n’offre pas encore d’identité plus précise qu’une visibilité bâloise pour des galeries aux profils hétérogènes, certaines pouvant déjà prétendre à Art Basel. Pour se présenter comme une alternative viable, VOLTA avait joué l’an dernier la même carte tarifaire que Liste en proposant des stands à 5 000 euros. « Nous avons changé cette année nos tarifs [à la hausse], car nous déménageons dans des locaux plus grands et nous voulons conserver les mêmes standings de présentation, indique Amanda Coulson, responsable de VOLTA. Surtout, nous souhaitons nous situer comme une plate-forme entre Art Basel et Liste. Si nous avions gardé les mêmes tarifs, nous aurions été dans la compétition et non dans la complémentarité. » Pour cette deuxième édition, les Parisiens Nathalie Obadia et Laurent Godin viennent rejoindre Hervé Loevenbruck, déjà inscrit l’an passé. La première se concentre sur ses plus jeunes artistes, avec notamment Rosson Crow et Nicolau Vergueiro, tandis que le second prévoit un panachage, avec quelques noms déjà établis comme Wang Du et Claude Closky.
Alternatif ?
La toute nouvelle « Bâlelatina » mise, elle, sur un autre marché : les artistes sud-américains. Un concept plus circonstancié à Miami qu’à Bâle ! « Nous souhaitons créer une plate-forme pour le marché de l’art latino-américain en Europe, une place de marché qui n’a pas été consacrée de manière répétée à cet art comme c’est le cas à Miami », précise Mariangela Capuzzo, directrice de la foire. La présence de quelques enseignes comme Anderson_S Contemporary (Copenhague) apparaît toutefois des plus incongrues dans cet aréopage hispanique !
Reste à voir la réaction des collectionneurs face à cette multiplication de foires. « Déjà l’an dernier, ils avaient du mal à courir entre tous les stands, remarque Grégoire Maisonneuve. Il va y avoir un manque de lisibilité de l’ensemble et certaines galeries seront déçues, c’est mathématique. Un marché, ce sont des règles, des codes qui donnent une stabilité. Il faudra penser la nouvelle donne. » Même si le foisonnement donnait le tournis à Miami, les petites foires ont toutes tiré leur épingle du jeu commercial. Mais il faudra aux amateurs assez de distance pour jauger de la donne artistique. Car, malgré le trompe-l’œil d’un marché au beau fixe, il n’existe pas assez de bonnes galeries et encore moins d’artistes pour pourvoir à toutes ces greffes. Le mot même d’« alternatif » est usurpé, car un même type de propositions uniformise ces foires off. « Nous savons très bien qu’Art Basel ou Liste recensent des galeries et des artistes dont on n’entendra plus parler dans dix ans, admet Peter Bläuer, directeur de la Liste. Il y a aujourd’hui autant d’artistes que de sable sur la plage. Bien qu’étant historien de l’art, je suis moi-même perdu. Je pense parfois qu’un artiste n’est pas intéressant, et l’année suivante je révise mon jugement. Beaucoup sont sérieux, mais beaucoup jouent aussi sur la fashion. Les foires sont finalement des instantanés d’une époque. » Et notre époque est encline à l’abondance, au risque de l’indigestion.
(1) Les autres foires off sont seulement listées.
L’art contemporain étant devenu un style de vie, il est logique d’y intégrer tout ce qui relève l’habitus humain. « Quand on regarde le catalogue de l’exposition “Passions privées”? [au Musée d’art moderne de la Ville de Paris] en 1995, on voit que les gens se fichaient de leurs intérieurs, rappelle le galeriste Didier Krzentowski (Paris). Ils ont envie maintenant que ceux-ci se rapprochent de ce qu’ils achètent en art. » La porosité est telle que certaines galeries d’art commencent à s’approprier les créateurs de design. Luhring Augustine (New York) a jeté son dévolu sur Mattia Bonetti tandis que Gagosian (New York) expose Mark Newson en septembre. Le flirt entre l’art et le design est tel que la maison de ventes Phillips a initié un nouveau concept de vente baptisé « Design Art ». Après le succès de Design Miami en décembre 2005, ce salon de design prend ses quartiers à Bâle. Pour bénéficier du soutien d’Art Basel, il est ouvert le matin seulement, une contrainte qui n’est pas du goût de tous les participants. Les exposants jouent leurs notes habituelles. Patrick Seguin (Paris) propose ainsi une suspension Saturne de Serge Mouille de plus de 9 mètres de hauteur réalisée pour le couvent des Dominicains à Lille. Du côté de Jousse Entreprise (Paris), Prouvé encore et toujours avec une table de travail de 1950, tandis que les luminaires de Gino Sarfatti représentent le point d’orgue de Mouvements modernes (Paris). Nonobstant quelques pépites, le panel général offre d’ailleurs une sensation lancinante de déjà-vu, le casting à la fois des exposants et des objets n’étant soumis qu’à d’infimes variations par rapport à la cuvée de Miami. « Il n’y a pas assez de galeries pour faire un salon, observe Pierre Staudenmeyer, directeur de la galerie Mouvements modernes (Paris). Mais autant deux cents galeries d’art n’engendrent pas la monotonie, autant douze galeries présentant toujours la même chose, le même stand, peuvent lasser. » Car elles donneraient l’illusion du trop-plein, alors qu’un marché efficace fonctionne sur la rareté. Craignant cette banalisation, François Laffanour, de la Galerie Downtown (Paris), aimerait à terme une intégration du design à Art Basel. « Il n’y a pas de plan pour l’intégration du design, précise toutefois Samuel Keller. Les galeries ne comprendraient pas qu’on ait une liste d’attente pour de très bonnes enseignes que nous ne prenons pas faute de place, et que, dans le même temps, on accueille des galeries de design. »
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La liste se rallonge
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Abonnez-vous dès 1 €- LISTE 06, 13-18 juin, Burgweg 15, Bâle, www.liste.ch, tlj 13h-21h, tél. 41 61 693 03 47 (durant la foire) Directeur : Peter Bläuer Nombre d’exposants : 61 Tarifs des stands : de 5 380 francs suisses (3 469 euros) à 8 608 francs suisses (5 549 euros) - DESIGN MIAMI BASEL, 13-16 juin, Elisabethenkirche Basel, Elisabethenstrasse 10 ; Foyer Theater Basel, Elisabethenstrasse 16, Bâle, www.designmiami.com, du 13 au 16 juin 9h-14h, nocturne privée le 14 juin 19h-21h Directrice : Ambra Medda Nombre d’exposants : 17 Tarifs des stands : 18 000 à 29 900 euros selon les stands - VOLTA SHOW 02, 14-18 juin, Ultra Brag, Südquaistrasse 55, Bâle, www.voltashow.com, tlj 11h-21h, tél. 49 30 2790 7826 Directrices : Amanda Couslon, Karoline Willems Nombre d’exposants : 45 Tarifs des stands : 8 000 euros - BÂLELATINA, 15-18 juin, Brasilea Kulturhaus, Westquai 39, Dreilandereck, Bâle, www.balelatina.com, tlj 11h-21h Directrice : Mariangela Capuzzo Nombre d’exposants : 21 Tarifs des stands : de 6 000 euros pour 15 m2 à 12 000 euros pour 40 m2
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°239 du 9 juin 2006, avec le titre suivant : La liste se rallonge