En France comme en Europe, les fouilles de sauvetage, liées à la réalisation des grands travaux d’aménagement du territoire, occupent désormais une place prépondérante. Menée sur plus de 250 kilomètres entre Valence, Marseille et Nîmes, la construction de la nouvelle ligne du TGV Méditerranée a ainsi permis une vaste opération d’archéologie préventive, quelque peu limitée par la rigueur du calendrier des chantiers. Datant de la préhistoire à l’époque moderne, une sélection des vestiges mis au jour lors des fouilles est dévoilée au Musée de Valence.
VALENCE - “L’intérêt des grands travaux est de mettre au jour une multitude de sites et de permettre ainsi la récolte de nombreuses données archéologiques”, souligne Frédérique Blaizot dans le catalogue consacré aux opérations archéologiques menées dans le cadre des travaux du TGV Méditerranée. La convention signée en décembre 1994, entre la SNCF, le ministère de la Culture (Drac) et l’Afan (Association pour les fouilles archéologiques nationales), marque le point de départ d’une opération de sauvegarde des vestiges archéologiques apparus sur les 250 kilomètres du tracé TGV – sur une moyenne de 60 mètres de large. Mobilisant quelque 150 archéologues, les fouilles ont eu lieu de 1995 à 1997, sur une centaine de sites, entre Valence, Marseille et Montpellier. Une entreprise de vaste envergure dont le budget s’élève à 150 millions de francs, soit environ 1 % du coût total de la construction de la nouvelle ligne. “Les principaux obstacles tiennent au calendrier d’exécution, expliquent Thierry Odiot et Valérie Bel, ingénieurs et coordinateurs de l’opération. Pour certains secteurs, les prospections n’ont pu commencer qu’au moment où des fouilles approfondies se terminaient ailleurs. De ce fait, des choix draconiens ont dû être effectués dans la dernière partie de l’opération de terrain. Toutefois, nous avons atteint globalement notre objectif qui était d’étudier, voire de prélever les vestiges identifiés pour permettre la construction de la ligne.” Autre difficulté rencontrée, les archéologues ne possédaient pas de corpus complet des sites potentiels. “C’est l’une des lacunes de l’opération, ajoute Thierry Odiot. Nous avons engagé certaines fouilles sur des sites pour lesquels nous disposions d’un appareil scientifique adapté alors que nous aurions peut-être dû mettre des moyens sur d’autres sites que nous ne connaissions pas lors de la décision.” Exposés au Musée de Valence, les résultats des fouilles traversent 8 000 ans d’histoire régionale et d’occupation humaine dans la moyenne vallée du Rhône – secteur privilégié en raison de l’importance et de la pertinence de ses sites archéologiques.
Réexamen des formes connuesd’habitat
De la préhistoire récente (7000 avant J.-C.) au Moyen Âge, presque tous les sites fouillés ont livré des témoignages d’occupation humaine : fosses, emplacements de poteaux, murs de pierre, éléments de bois ou de terre incendiés. Ces découvertes conduisent parfois à compléter ou réexaminer les formes déjà connues d’habitat, comme les structures excavées en quadrillage du site des Petites Bâties, à Lamotte-du-Rhône (Vaucluse), probables vestiges d’élévations, inédites à ce jour en France pour la période néolithique. Pour cette époque en effet, les fouilles menées ces vingt dernières années n’avaient montré aucune maison à proprement parler, mettant en doute la réalité de la sédentarisation. L’âge du bronze ancien a livré, quant à lui, une vingtaine d’unités spatiales qualifiée “d’architecture agglomérante” sur le site de Le Serre 1, à Roynac (Drôme), ainsi qu’un bel exemple d’habitat groupé autour d’une aire centrale à Bourbousson 1, Crest (Drôme). À Constantin, Montboucher-sur-Jabron (Drôme), les vestiges d’une maison incendiée du XIe siècle ont permis de recueillir des éléments extrêmement précis sur l’architecture de fond de cabane en terre et bois, une référence unique pour l’habitat rural isolé du Moyen Âge, parallèlement aux sites religieux et castraux fouillés jusqu’alors. Compte tenu des délais imposés, l’ensemble des vestiges mobiliers n’a pu être prélevé. Tessons de céramique, pièces lithiques taillées ou polies, objets métalliques, monnaies, sépultures et offrandes funéraires constituent l’essentiel des découvertes, dont le volume total pour le seul département de la Drôme représente 460 mètres linéaires de rayonnages. Un certain nombre de sépultures ou d’ensembles funéraires, de la préhistoire récente au Moyen Âge, ont également été mis au jour. “Un tracé linéaire ne dégage que rarement la totalité d’un gisement, du fait des limites relativement étroites de son emprise – et ces contraintes peuvent provoquer des difficultés pour étudier les ensembles funéraires, puisque certains, notamment aux époques protohistoriques et historiques, s’avèrent parfois très étendus. [...] Au terme de cette opération, on peut estimer que nous avons eu beaucoup de chance : cinq ensembles funéraires quasi complets et neuf ont été explorés contre deux qui n’ont été qu’effleurés par les travaux”, explique Frédérique Blaizot, anthropologue de l’Afan. Les différentes trouvailles permettent d’approfondir nos connaissances sur la manière dont les populations organisaient les espaces des vivants et des morts. Le site de Beaume, à Châteauneuf-sur-Isère (Drôme), a ainsi livré un petit ensemble funéraire concernant des individus âgés et partiellement handicapés, un modèle inattendu d’une prise en charge d’indigents. Si pour les époques historiques, les données funéraires sont considérables, les sépultures des périodes préhistoriques et protohistoriques sont peu nombreuses. Certaines ont, cela dit, été retenues en raison de leur caractère particulier, comme l’ensemble funéraire sous tumulus de pierres et de terre, surmonté de stèles, utilisé autour de 3000 avant J.-C., à Ventabren (Bouches-du-Rhône). Ce sont les premiers de ce type trouvés en Provence. Aspect original du chantier, les recherches géoarchéologiques – étude du sédiment dans lequel l’objet archéologique a été enfoui – donnent un premier bilan de l’histoire du climat, du paysage et des relations de l’homme avec le milieu naturel au cours des dix derniers millénaires, sujet qui fera l’objet d’une prochaine publication. “Le plus important reste le suivi des publications en cours. Ces différents volumes, conclut Thierry Odiot, seront l’héritage scientifique de l’opération et sont, finalement sa seule raison d’être.”
Après les grands travaux du TGV Méditerranée, des fouilles archéologiques préventives sont actuellement en cours sur le tracé du TGV Est – long de 300 kilomètres. Débutées en novembre 2000, sur une zone de quelque 3 000 hectares, les opérations devraient s’achever à la fin de l’année 2002. Le budget alloué aux interventions est de 20 millions d’euros (130 millions de francs), une enveloppe “un peu basse par rapport à la surface à traiter, estime Yan Vanmoerkerke, coordinateur scientifique au Drac Champagne-Ardenne. Tout va très vite, nous travaillons dans l’urgence. Si des découvertes s’avèrent importantes, cela risque d’être serré par rapport au calendrier. Bien sûr, on pourra toujours gonfler les équipes, et réadapter les travaux…”? Pour la fin de l’âge du bronze jusqu’au haut Moyen Âge, des traces d’habitats et des nécropoles ont déjà été découvertes : fondations en pierre, caves, fosses remplies de déchets, fossés… Par ailleurs, un site de production sérielle de silex, datant de 6000 avant J.-C., a été mis au jour.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
La face cachée du TGV Méditerranée
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €- ARCHÉOLOGIE SUR TOUTE LA LIGNE, jusqu’au 5 mai, Musée de Valence, 4 place des Ormeaux, 26000 Valence, tél. 04 75 79 20 80, www.musee-valence.org, tlj sauf lundi et jours fériés, 14h-17h45, catalogue Musée de Valence/Somogy, 213 p., 28,97 E, ISBN 2-85056-513-X
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°141 du 25 janvier 2002, avec le titre suivant : La face cachée du TGV Méditerranée