CANNES
Secrétaire puis biographe de Jean Moulin, marchand d’art et collectionneur, Daniel Cordier est décédé le 20 novembre à l’âge de 100 ans.
Le destin de Daniel Cordier, qui vient de disparaître à l’âge de 100 ans, aura toujours été étroitement associé à celui de Jean Moulin. Après avoir courageusement rejoint à 20 ans les Forces françaises libres à Londres, ce maurassien issu d’une famille privilégiée, fut, comme on le sait, le secrétaire du représentant du Général de Gaulle dans la Résistance de juillet 1942 jusqu’à l’arrestation de ce dernier à Caluire en juin 1943. Il consacra une grande partie de sa vie à batailler pour protéger le souvenir de son illustre « patron », rassembler des documents et publier des ouvrages qui font autorité sur « l’inconnu du Panthéon ».
Mais c’est bien après la fin de la guerre que Daniel Cordier se décida à écrire sur Jean Moulin, furieux des allégations d’agent communiste par un autre résistant, Henri Frenay. Aujourd’hui un peu estompées, les polémiques entre les différents mouvements de la Résistance ont longtemps été très virulentes.
« Je suis venu à l’art par la Résistance »
Auparavant, « Caracalla », son surnom dans la Résistance, s’était lancé dans une peu probante carrière d’artiste, comme lui-même l’a admis un jour au Monde : « Ce que je faisais était désastreux. Je regrette que personne ne me l'ait dit. » Celui qui voulait être pianiste doit sa reconversion à son mentor qui s’intéressait beaucoup à l’art au point d’avoir ouvert une galerie à Nice après son parachutage pour lui servir de couverture : « Je suis venu à l'art par la Résistance. Parce que la grande passion de Jean Moulin, c'était l'art contemporain. »
Plus lucrative fut en effet sa reconversion en marchand d’art. Il ouvre une première galerie en 1956, rue de Duras, à côté du palais de l’Élysée. Il y expose des artistes aussi différents que Jean Dewasne, Jean Dubuffet, Dado ou le peintre écrivain Bernard Réquichot qui se suicida deux jours avant le vernissage de son exposition chez lui. Plus lucrative ? Pas tout à fait puisqu’il ferme sa galerie en 1964 non sans avoir envoyé un courrier à 4 000 artistes, galeristes et collectionneurs pour expliquer sa décision, dénonçant – déjà ! – la spéculation qui s’était emparée de ce marché. Il devient alors ce qu’on appelle aujourd’hui un « art advisor », un conseiller en art aidant de riches entrepreneurs à monter leur collection d’art.
Un collectionneur éclectique
Cette activité de marchand lui a permis de constituer sa propre collection tout aussi éclectique que les artistes de sa galerie. « Je ne voulais pas d’une collection échantillon », a-t-il dit au Monde. Le public a pu s’en rendre compte lors de l’exposition de sa donation au Centre Pompidou en 1989. Encouragé par Alfred Pacquement, le futur directeur du Musée national d’art moderne rencontré lors de la préparation de « l’exposition Pompidou » de 1972, il commence à donner des œuvres au Centre au point d’être l’un des plus grands donateurs à l’État. Un éclectisme qui franchit les continents et les décennies, on découvre ainsi que Daniel Cordier s’intéressait beaucoup aux arts premiers ou ethnographiques. Un peu embarrassé par cette collection le Centre Pompidou l’a mise en partie en dépôt au Musée-Frac des Abattoirs de Toulouse.
Comblé d’honneur par la République – il fut élevé à la dignité de grand-croix de la Légion d’honneur en 2018 –, ce résistant de la première heure qui n’hésitait pas à rendre public haut et fort ses décisions est longtemps resté discret sur son homosexualité qu’il ne révèle qu’en 2009 (il a alors 89 ans) dans son autobiographie Alias Caracalla. C’était l’un des deux derniers compagnons de la Libération encore en vie.
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La disparition de Daniel Cordier (1920-2020)
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°556 du 27 novembre 2020, avec le titre suivant : La disparition de Daniel Cordier (1920-2020)