TOULOUSE - PARIS
Une sélection de la donation Daniel Cordier est exposée à Toulouse et à Paris, révélant la prédominance du visuel à travers la prolifération.
TOULOUSE, PARIS - C’est un tout petit cadre accroché sur un mur de la nef des Abattoirs, à Toulouse. Yolande Fièvre a saturé la surface d’un panneau d’Isorel avec des morceaux de bois, des fils de nylon, des petits minéraux, des bouts d’écorces, du papier, du sable, un peu de peinture également. Touffu et délicat, son attachant Plan d’une vieille cité pour rêver (1960) offre au regard et à l’esprit des méandres pour se perdre. Cette œuvre illustre à merveille l’atmosphère qui se dégage des deux expositions consacrées aux donations de la collection de Daniel Cordier, aux Abattoirs donc, mais aussi au Centre Pompidou, à Paris.
Composée d’œuvres contemporaines pour le moins éclectiques – à la rigueur de Robert Morris ou de Jean Dewasne s’oppose la folle exubérance de Dado ou le foisonnement de Bernard Réchiquot –, cette collection comporte en outre, en nombre considérable, des objets ethnographiques de natures et provenances diverses, qui constituent le gros des présentations actuelles.
C’est en 1989 que l’ancien galeriste offre à l’institution parisienne un premier lot de plus de cinq cents pièces, mises en dépôt à Toulouse dix ans plus tard, qu’il complète récemment par une nouvelle donation d’ampleur équivalente.
Si associer l’art contemporain à des arts premiers ou populaires n’a en soi rien de profondément original, la démarche de Daniel Cordier interpelle en ce qu’elle semble uniquement reposer sur l’exaltation et la jouissance du regard provoquées par les rapprochements et connexions entre le « grand art » et les objets, pour lesquels il avoue éprouver depuis l’enfance un « attrait indicible ».
Cette prédominance de l’œil semble encore amplifiée par un goût manifeste pour la série et l’accumulation : « Quelque chose qui me plaît, j’ai envie d’en avoir plusieurs », affirme, gourmand, le collectionneur.
Alain Mousseigne, directeur des Abattoirs, s’en donne donc à cœur joie dans ces joliment intitulés « Désordres du plaisir », où s’impose une logique de la profusion, de l’accumulation, du rapprochement formel, symbolique et sensuel. Dans la nef, des troncs taillés par les Dogons du Mali entrent en collision avec une compression rouge de César (Compression murale, 1975). Une salle consacrée à la nature met en correspondance la peinture luxuriante de Karen (Non-sense, 1986) avec des calices en éponge provenant de la mer d’Égypte et des gorgones de corail colorées venues d’Italie (années 1920-1930). Dans une pièce dépouillée résonne étrangement la pratique du collage avec des sérigraphies de Rauschenberg sur des tissus superposés (Hoar-Front, 1972) et des Boro japonais de l’ère Meiji (XIXe-début du XXe siècle), morceaux de textiles rapiécés pour en faire des couvertures. Plus loin, dans une atmosphère graphique, des pastels de Hartung dialoguent avec de grandes pierres monolithiques, des piquets de tente touaregs et des arcs de portage chinois. La magie opère, indéniablement !
La même atmosphère de compagnonnage sensitif et décomplexé prévaut dans l’accrochage d’une centaine de pièces effectué dans quelques salles du Musée national d’art moderne, à Paris. Avec toutefois un zéro pointé concernant l’information, quasiment aucun cartel n’accompagnant les objets. Seul un document à exemplaire unique, consultable sur un pupitre en tout début de parcours, indique provenances et datations. Et même si Cordier lui-même affirme ne pas vouloir encombrer les espaces d’informations afin de laisser divaguer l’esprit, il y a un monde entre le rien du tout parisien, et la discrétion toulousaine, où des schémas de l’accrochage sont installés à l’entrée de chaque espace, sans nuisance visuelle.
Si remarquable est cette action, subversive quelque part, d’être parvenu à imposer à l’institution muséale de « rassembler des objets qui ne se rassemblent pas dans ce lieu-là », curieuse est toutefois la sensation d’une crainte de « l’intellectualisation ». Comme si tout discours était vain, hors le potentiel esthétique et imaginaire des œuvres. « Au fond, je n’ai rien à dire sur l’art. Il a été toute ma vie mais pas dans les mots », affirme Daniel Cordier.
DONATIONS DANIEL CORDIER — LES DÉSORDRES DU PLAISIR, jusqu’au 19 avril, Les Abattoirs, 76, allée Charles-de-Fitte, 31300 Toulouse, tél. 05 34 51 10 60, www.lesabat toirs.org, tlj sauf lundi mardi 11h-19h. Jusqu’au 23 mars, Centre Pompidou, 75191 Paris, tél. 01 44 78 12 33, www.centrepompidou.fr, tlj sauf mardi 11h-21h. Catalogue de la donation de 1989 revu et corrigé en 2005 : Daniel Cordier. Le Regard d’un amateur, co-éd. Centre Pompidou/Les Abattoirs, 400 p., 46,90 euros ISBN 978-2-84426-263-5.
DANIEL CORDIER
Commissariat : Alain Mousseigne, directeur des Abattoirs ; Alfred Pacquement et Bénédicte Ajac pour le Centre Pompidou.
Nombre d’œuvres : environ 450 à Toulouse et 130 à Paris
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Rien que pour vos yeux
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°296 du 6 février 2009, avec le titre suivant : Rien que pour vos yeux