On est jamais aussi bien servi que par soi-même. C’est ce que s’est dit la Croix-Rouge française en lançant elle-même une gamme de trousses de secours imaginée par le designer Frédéric Ruyant, premiers objets “officiels”? griffés du célèbre emblème à être lancés sur le marché.
Depuis quelques années, la croix rouge est devenue un logo fétiche pour les créateurs de tout poil, œuvrant notamment dans les domaines de la maison ou du prêt-à-porter. Or, cette fameuse croix rouge sur fond blanc est un emblème protégé par les conventions de Genève, ce qui, hormis la Croix-Rouge française (CRF) elle-même et, dans certains cas, l’État, interdit à quiconque son emploi. Pas étonnant donc si l’association est aujourd’hui en procès contre, entre autres, Jean-Charles de Castelbajac, “couturier multi-récidiviste”, qui, depuis sa collection Premier Secours (printemps-été 1999), pare allègrement ses vêtements de l’insigne réservé.
En chargeant le designer Frédéric Ruyant d’imaginer des trousses de secours, la CRF veut lutter contre ces abus d’emblème en produisant elle-même des objets ornés de son sigle. Le résultat est plutôt drôle : la forme de la trousse de Ruyant ressemble à celle du mythique tonneau jadis accroché au cou des saint-bernard pour les secours en montagne. En polyamide gris, marquée d’une croix rouge réfléchissante, elle contient le nécessaire pour les premiers soins : ciseaux, sparadraps prédécoupés, compresses... À l’intérieur, au lieu de poches zippées, difficiles à ouvrir en cas de panique ou d’urgence, tout est mis en vrac. Frédéric Ruyant en a dessiné trois modèles : un pour la maison, un pour la randonnée et un, aplati, pour la voiture. Sa teinte grise est le prélude à un changement radical : “D’ici à trois ans, explique Stéphane Mantion, directeur de la communication à la CRF, le gris devrait se décliner sur toutes les fournitures de l’association, notamment les gilets des secouristes aujourd’hui couleur sable.”
Paradoxe : hormis la vente par correspondance, ces trousses ne sont pour l’instant distribuées que dans trois magasins parisiens (Sentou, Colette et Galeries Lafayette), comme des articles de mode tendance. Si bien que, en quelques semaines, elles se sont hissées au rang de collector, s’affichant même sur une pleine page du magazine Vogue. Une réussite côté communication, mais l’image caritative et altruiste de la CRF n’en prend-elle pas un coup ? “Non, assure Stéphane Mantion, car, en parallèle, nous négocions actuellement avec un grand distributeur français qui pourrait mettre en vente ces trousses dans ses supermarchés dès le mois de juin prochain.” Dont acte !
En choisissant Frédéric Ruyant, la CRF n’y allait pas à l’aveuglette. C’est lui, en effet, qui, l’an passé, a complètement “relooké” le hall d’entrée de son siège national, place Henry-Dunant, à Paris, réveillant l’espace de murs rouge pétard. À quarante ans, Ruyant arbore un parcours plutôt atypique pour un designer, cerné entre un DEUG de philosophie et un diplôme d’architecte, et fignolé par un stage chez Gaetano Pesce. En janvier 2000, au Salon du meuble de Paris, son projet “Mobilier en ligne, ligne de mobilier” a fortement séduit. Cet ensemble de meubles – une table basse, un porte-revues, une chaise, une table, un lit et une penderie, tous alignés à la queue leu leu et reliés entre eux – inventait en effet une manière inattendue d’occuper l’espace. Ce projet-manifeste, aussitôt acheté par le Fonds national d’art contemporain (Fnac), a aujourd’hui engendré divers aménagements où le mobilier devient micro-architecture, où chaque meuble génère son propre espace. C’est le cas pour le mobilier du nouveau Centre d’art contemporain Le Plateau (lire le JdA n° 140, 11 janvier 2002), à Paris. Les consoles et les présentoirs, en chêne clair, sont munis de deux pièces, une verticale et une horizontale, qui font office de “mur” et de “plancher”. Idem pour la salle à manger “Dining Suite”, montrée en janvier, série d’éléments – telles cette table et ses deux assises en vis-à-vis – réalisés d’un seul tenant. La recherche de Ruyant sur la structuration de l’espace par le mobilier fait d’ailleurs l’objet d’une Carte blanche du VIA pour le Salon du meuble de Paris de janvier 2003. Le designer y proposera un meuble en mousse avec chaise, table et console intégrées.
Mais Ruyant n’est pas seulement un créateur au design rigoureux, voire monacal. Il sait aussi colorer l’espace. À preuve, ces deux projets parisiens : l’un réalisé, l’agence de publicité Euro RSCG-BETC, où chaque bureau est un box de couleur unie ; l’autre, en attente, le foyer de l’amphithéâtre de la Cité de la musique, un lieu volontairement sombre uniquement illuminé par trois salons-cubes translucides et monochromes. Cet été, Frédéric Ruyant est l’un des deux designers invités chaque année à travailler avec les maîtres-céramistes de Vallauris. Il a promis des objets “qui racontent autre chose que leur seule fonction”, comme un pot à ustensiles qui deviendrait un porte-serviettes, ou un saladier une cloche à fromages... Dans son numéro de mars, le magazine de décoration anglais branché Wallpaper a réservé une page à sa “Dining Suite”, sous la rubrique “2002’s most covetable international design”. En clair : le design le plus convoité de l’année !
- Les trois trousses de secours de la Croix-Rouge française sont disponibles en VPC. Entre 29 € et 32 € frais de port. Renseignements : 01 44 43 11 22.
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La croix bouge avec Frédéric Ruyant
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°144 du 8 mars 2002, avec le titre suivant : La croix bouge avec Frédéric Ruyant