Couture et décoration, mode et design, création et architecture font traditionnellement bon ménage, mêlant tendances, inspirations, collaborations. Jusqu’au vocabulaire qui, souvent, se superpose, se télescope. Va-et-vient incessant dont témoignent, aujourd’hui encore, Alaïa, Castelbajac et Gaultier.
PARIS - Qui ne se souvient des aventures de la “bande à Poiret” ? Autour du génial couturier ne gravitaient rien moins que l’Atelier Martine, Christian Bérard, André Groult, Paul Iribe... Plus près de nous, il n’est qu’à évoquer la couverture médiatique accordée à l‘aménagement des salons de Christian Lacroix par le tandem Garouste et Bonetti... Et la ronde continue, avec trois chantiers en cours ou en devenir, de natures différentes, et qui concernent autant de nos plus brillants créateurs.
D’abord, le flamboyant Jean-Paul Gaultier, qui vient de racheter un imposant immeuble, situé à Paris à mi-distance de la porte Saint-Martin et du théâtre de la Gaîté-Lyrique, et faisant face au Conservatoire national des arts et métiers. Un bâtiment de sept niveaux pour plus de 4 000 m2, édifié en 1912 par l’architecte Belesta, pour le compte de l’association Avenir du prolétariat. Déjà s’opère la rencontre entre le lieu et son environnement d’une part, entre le lieu et le couturier d’autre part : l’origine populaire, le goût du beau métier et le sens du spectacle (Avenir du prolétariat, Arts et Métiers, Gaîté-Lyrique). D’autant que le lieu, s’il fut d’abord le palais de la Mutualité, accueillit une fabrique de bolducs, une fabrique de faveurs, un cinéma puis une salle de boxe (qui deviendra le salon d’essayage de la haute couture) et, en 1986, un étrange complexe qui, sous le nom de “Charivari”, réunissait restaurant, dancing et backstage de sulfureuse réputation. Ce fut enfin, en 2002, l’atelier de campagne de Lionel Jospin.
Face à ce très lourd héritage, les architectes Alain Moatti et Henri Rivière ont concocté pour Jean-Paul Gaultier une réhabilitation-reconversion d’une grande subtilité qui, tout à la fois, préserve le décor kitsch et rococo d’origine, met en évidence les prouesses techniques existantes – telle l’étonnante et gigantesque voûte composée d’un voile de béton à la minceur (8 cm) invraisemblable –, et invente un nouveau vocabulaire à la mesure de la démesure de Gaultier. Ceci en créant, notamment, trois grands caissons à ciel ouvert obturés par une toiture gonflable transparente, et encore, en transformant une cour étroite, borgne et sinistre en un magique capteur de lumière naturelle. Le coup d’envoi du chantier est donné ce mois-ci, le projet devant trouver son aboutissement au printemps 2004.
Nettement moins kitsch mais tout aussi inattendu, le nouveau lieu de Jean-Charles de Castelbajac, situé au cœur du quartier des Halles. Là encore, un vaste espace de 800 m2, à la topographie complexe, et partiellement surmonté d’une verrière. Partie qui s’élance sur trois niveaux bordés de coursives.
À nouveau, la rencontre était imparable puisque le Gascon Castelbajac s’installe dans un ancien entrepôt de foie gras du Sud-Ouest, devenu par la suite fabrique de papiers peints. L’architecte Philippe Chiambaretta, qui livrera sa copie définitive en juillet, s’est emparé de l’espace avec la ferme intention de préserver tout ce qui pouvait l’être et de remettre en état et en lumière les boiseries et menuiseries métalliques d’origine. Néanmoins, une maison de couture a des logiques auxquelles l’espace doit se plier : boutique sur la rue, ateliers, locaux administratifs... L’enjeu était donc de découper l’espace tout en laissant son volume originel apparent et sensible. Chiambaretta a donc tourné la difficulté et trouvé la solution en déployant deux immenses rubans. L’un au sol, comme un tapis cloué, serpente tout le long du rez-de-chaussée et s’élance à la conquête des deux volées d’escalier pour terminer sa course au dernier plafond. Un ruban qui, tout en structurant l’espace, agit à la manière d’une signalétique directionnelle. L’autre ruban, lui, découpe l’espace en zones bien délimitées. Dressé, tour à tour transparent ou translucide, il joue des couleurs fétiches propres à Castelbajac et des différentes intensités des matières employées. Cette dialectique de l’horizontal et du vertical, Chiambaretta l’articule avec beaucoup de légèreté, d’élégance et de sensibilité. Et s’amuse, en préservant l’essentiel de l’existant, à exalter le goût marqué du couturier pour l’archéologie contemporaine.
Gaultier et Castelbajac s’attachent donc aujourd’hui à architecturer leurs maisons de couture. De son côté, Azzedine Alaïa s’amuse à ré-architecturer sa propre maison, située au dernier étage du labyrinthe étonnant qui constitue son univers et où se mêlent XVIIIe, XIXe et XXe siècles.
Collectionneur passionné et avisé, il vient d’acquérir une station-service toute de verre et de métal conçue par Jean Prouvé en 1952. Et l’installe au centre du vaste plateau transformé en habitation, voisinant avec un escalier ondulant du plus bel effet dessiné également par Prouvé en collaboration avec Subes pour la Maison de la métallurgie. Non pas pour en faire un objet inanimé de pure dilection mais pour opérer sur lui un caractéristique détournement de fonction et d’usage. Lovée sous les toits de Paris, la mythologique station-service est tout simplement devenue la chambre à coucher du créateur.
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La couture dans ses murs
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°174 du 27 juin 2003, avec le titre suivant : La couture dans ses murs