Outre le très haut niveau de qualité des œuvres exposées, la plus prestigieuse foire d’art et d’antiquités du monde mise sur ses somptueux décors pour séduire son public. Une question d’image avant tout…
Depuis sa création en 1962, la chiquissime Biennale des antiquaires de Paris ne se contente pas de réunir les plus beaux objets qui entreront dans les collections des grands amateurs d’art et des musées du monde entier. Elle soigne aussi sa présentation, qui participe de sa réputation, en conviant à chacune de ses éditions un décorateur pour repenser son ambiance générale dans l’écrin magnifique du Grand Palais. Pour beaucoup, l’édition de 1992 demeure l’une des plus exceptionnelles grâce à l’aménagement d’une « ville romaine » par Pier Luigi Pizzi.
Après dix années moins fastueuses au Carrousel du Louvre et un retour au Grand Palais en 2006, 2012 marque un nouveau tournant avec un accroissement du nombre d’exposants – cent vingt au lieu de quatre-vingt-six en 2010 – grâce à la réouverture à l’étage du Salon d’honneur fermé depuis plus de soixante-dix ans. Dans ce contexte, le projet scénographique d’un « Paris 1900 revisité », imaginé par le créateur Karl Lagerfeld, est attendu avec enthousiasme. Ce décor, s’étendant sur 15 200 m2 d’espaces à aménager (allées, stands, restaurants…), inclut la reconstitution de l’Arc de triomphe et celle de l’obélisque de la place de la Concorde sur sept mètres de hauteur, ainsi que l’installation d’une montgolfière ancienne sous le dôme.
S’attacher les services d’un décorateur de renom
Mais la foire la plus prestigieuse au monde est aussi la plus chère. En fonction de son emplacement, un antiquaire dépense de 1 000 à 1 600 euros le mètre carré pour un stand qui peut aller de 10 à plus de 100 m2. Comparativement, le coût est de 330 euros le mètre carré à la Tefaf (la foire internationale de Maastricht, aux Pays-Bas), où le cadre passe pour superflu. D’autant plus que si un stand de 40 m2 à la Biennale revient à débourser environ 50 000 euros en location nue, l’antiquaire investit souvent en prime dans son aménagement.
Ainsi les marchands font-ils un effort personnel de présentation qu’ils ne réitèrent pas dans les autres salons. Quand ils ne conçoivent pas leur décor eux-mêmes, les exposants font appel à des scénographes, architectes ou décorateurs. Six marchands ont eu recours aux services de François-Joseph Graf, surnommé « l’Empereur », pour un prix variant de 50 000 à 300 000 euros : la galerie Vallois (Art déco), la galerie Aveline (mobilier XVIIIe), l’antiquaire Martin du Daffoy (joaillerie ancienne et moderne), Phoenix Ancient Art (archéologie classique), la Galerie Jean-Christophe Charbonnier (art du Japon), et son fils Oscar Graf (arts décoratifs européens de la fin du XIXe-début du XXe siècle).
« Cela représente beaucoup d’argent, mais le décor est là pour mettre en valeur au mieux chaque meuble ou ensemble d’objets », argue Cheska Vallois après douze ans de collaboration avec l’architecte décorateur. L’objectif est-il donc de mieux vendre ? « La Biennale est un événement de prestige qui sert notre image de marque. Ce n’est pas un lieu commercial pour la bonne raison qu’il me suffirait de passer quelques coups de téléphone à mes clients pour vendre les pièces rares que j’y présente », répond la galeriste parisienne, habituée à céder la totalité de son stand le soir du vernissage.
La galerie Phoenix s’est, quant à elle, lancée avec Graf dans un projet audacieux de tombeau égyptien sur fond rouge cinabre, où l’éclairage a été particulièrement étudié pour sublimer une vingtaine de pièces d’antiquité, pas davantage. « Avec Graf, nous évitons de tomber dans le piège de la surabondance, explique Cyrille Martin du Daffoy, antiquaire spécialiste des bijoux anciens et modernes. En trente ans de Biennale, on nous a toujours dit que nous montrions de belles choses, mais nous étions plus ou moins conscients que nous en avions trop. Nous avons fait une sélection d’une soixantaine de pièces (au lieu de deux cent cinquante auparavant) qui sont les plus représentatives de notre maison, en doublant notre surface d’exposition (un stand de 40 m2). Cela triple nos dépenses, mais c’est une nécessité pour donner une meilleure place à nos joyaux. »
Si s’attacher les services d’un grand décorateur s’avère particulièrement onéreux, François-Joseph Graf souligne cependant que la tendance actuelle est de « faire des stands les plus économiques possible. Alors on trouve des astuces pour limiter les coûts, par le choix des matériaux et en louant des éléments (le parquet, les spots) au lieu de les acheter. Avec une réserve : le résultat doit être aussi beau. »
La décoration, un savoir-faire pour certains antiquaires
Quand ils n’en ont pas les moyens, les antiquaires font l’économie d’un décorateur. Pour autant, les efforts sont là. Ainsi pour sa première Biennale, la jeune Galerie Mathivet (arts décoratifs du XXe siècle) investit un petit espace de 20 m2 qu’elle aménage elle-même avec l’aide d’un monteur, selon une idée bien précise : reconstituer la loge d’actrice de la couturière Jeanne Lanvin, réalisée par le décorateur Armand-Albert Rateau, à partir d’une aquarelle publiée dans le magazine Art et Décoration en 1925.
Spécialisé en tableaux orientalistes, Mathias Ary Jan, autre jeune marchand faisant son entrée à la Biennale, a voulu marquer les esprits en composant l’intérieur d’un riad contemporain aux murs couleur aubergine avec des arches à décor de moucharabieh. « Cette présentation est un investissement en termes d’image. Commercialement, je ne peux compter que sur la qualité des œuvres que je présente », indique-t-il.
Si l’antiquaire Benjamin Steinitz se passe de décorateur, c’est qu’il a « un rôle assez unique dans le milieu des antiquaires. Constituer des décors fait partie du savoir-faire de la galerie, avec l’aide d’artisans y travaillant à demeure. » Au-delà d’une opportunité de vendre des meubles et objets individuellement, la Biennale reste une carte de visite pour l’antiquaire. « Notre but est de montrer notre goût et notre capacité à créer des atmosphères, afin que des personnes nous confient leur maison. »
Pour la galerie new-yorkaise L&M, il est aussi question de créer une ambiance pour cette Biennale, à savoir celle d’un salon d’un amateur d’art où les œuvres modernes et d’après-guerre (Klein, Warhol…) côtoient les meubles-sculptures de l’artiste et architecte Peter Marino, pour « déclencher le désir de vivre entouré de beaux objets », souligne la galeriste Dominique Lévy. À chacun son style à la Biennale, l’essentiel étant de se faire remarquer. Et l’aventure commerciale de se poursuivre plus tard en boutique.
Derrière l’apparente simplicité de certains stands, le visiteur sera curieux de savoir que tout un travail très élaboré a été orchestré. Par exemple, pour présenter sa rétrospective de Georges Papazoff, soit une vingtaine de toiles dans un espace de 30 m2, le galeriste Antoine Laurentin s’est adressé à son scénographe habituel : Bruno Graziani. « Dans un environnement chic et sobre que je lui ai imposé (la couleur grise des murs, comme dans la galerie), il m’a proposé un accrochage structuré dans un environnement réduit, où les œuvres trouvent leur place en fonction des angles de vue des visiteurs depuis l’extérieur du stand pour les inviter à entrer, en suivant un rythme de circulation bien précis. Cela a pour réel impact de faciliter les relations avec les visiteurs qui portent un regard sur l’œuvre d’un artiste qu’ils ne connaissent pas. » Le jeune David Ghezelbash n’a lui non plus rien laissé au hasard, parce que « la présentation a une forte influence sur la décision d’achat », soutient ce spécialiste en archéologie classique et du Proche-Orient. Il a organisé huit boîtes de lumière encastrées dans un mur, à hauteurs variables, pour donner la meilleure exposition à ses petits objets. La situation de chaque sculpture a été savamment étudiée pour être ou non en dialogue avec d’autres. L’angle et l’intensité d’éclairage étant aussi primordiaux et dépendants de chaque objet, il était important que le réseau de spots soit équipé de variateurs. Pour un rare tridacne, un coquillage sculpté et gravé en forme de hibou par les Phéniciens au VIIIe siècle av. J.-C., il a prévu une vitrine spéciale avec un éclairage rasant venant du dessous pour mettre en valeur la partie gravée. L’antiquaire pousse le détail jusqu’au soclage des objets : « En archéologie, s’agissant souvent de fragments, le socle est important. Il faut qu’il soit discret et qu’il sacralise l’objet. »
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La Biennale des Antiquaires
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°649 du 1 septembre 2012, avec le titre suivant : La Biennale des Antiquaires