La quarante-sixième édition de la Biennale de Venise s’est ouverte le 10 juin dans un climat désabusé. Les critiques concernant la suppression d’\"Aperto\", qui présentait dans les Corderies de l’Arsenal de jeunes artistes, ont cédé le pas à des commentaires peu amènes sur la qualité des différentes expositions et sur l’absence de représentation d’artistes bosniaques. La proclamation du palmarès a encore accru la perplexité du public, qui pouvait s’interroger sur les options prises à l’occasion de ce centième anniversaire.
La vénérable institution vénitienne avait jusque-là coutume de proposer des expositions approximatives, présentées aux limites de la décence dans le labyrinthique pavillon italien. On mettra au crédit de Jean Clair, au-delà des critiques que suscite "Identité et altérité", d’avoir su imposer des exigences muséographiques qui ont fait oublier la précipitation dans laquelle s’est préparée cette manifestation.
Mais, sans nul doute, ses partis pris, son classicisme, voire, pour certains, les orientations réactionnaires de sa philosophie, ont fortement contribué à infléchir les expositions vers un certain classicisme. La lamentable sélection italienne a d’ailleurs montré les risques et les limites du "révisionnisme" quand il se fait vengeur.
Les artistes présentés dans les pavillons nationaux, choisis par des commissaires désignés le plus souvent par les ministères des Affaires étrangères, jouissent généralement d’une réputation flatteuse. Il arrive qu’ils déçoivent, dans ces jardins où la pression et les attentes sont extrêmes. Ainsi Bill Viola, qui a conçu une installation plus théâtrale et dispendieuse que jamais.
La grande majorité d’entre eux, cependant, restent fidèles à eux-mêmes, et ne provoquent, à l’instar de César, guère de surprises. Didier Vermeiren pour la Belgique, Roman Opalka pour la Pologne, Fischli et Weiss pour la Suisse ont su construire des projets justes et sobres qui font heureusement oublier l’artificielle fièvre vénitienne. Bien qu’un peu obscur dans sa présentation, le pavillon autrichien, qui regroupe une demi-douzaine d’artistes et d’architectes, avait l’inestimable mérite d’être un lieu vivant. On ne saurait en dire autant du pavillon allemand, tout entier dominé par l’ennui.
Comme à chaque édition, se sont multipliées les expositions alternatives aux quatre coins de la ville. Néerlandais et Belges ont ainsi investi San Francesco della Vigna, tandis que, en collaboration avec une galerie viennoise, Jérôme Sans avait proposé à des artistes, le temps du vernissage, de s’installer sur un bateau de commerce vénitien. Lieux et projets alternatifs côtoyaient bien entendu des manifestations on ne peut plus officielles, la pire étant incarnée par le sculpteur américain Mark di Suvero, qui a transformé, avec quelques œuvres d’inspiration 1 %, le Grand Canal en aquatiques Champs-Élysées.
Qu’est-ce qu’une biennale ? En apposant sur la façade du pavillon central les noms de tous les artistes y ayant participé depuis cent ans, Christian Boltanski répond ironiquement : "Un salon parmi d’autres". Qui fabrique de l’oubli comme Monsieur Jourdain de la prose.
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La Biennale de Venise : Vade retro
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°16 du 1 juillet 1995, avec le titre suivant : La Biennale de Venise : Vade retro