Un an après la fin des hostilités au Kosovo, une mission financée par l’université de Harvard a enquêté sur leurs conséquences réelles pour le patrimoine de la province, pendant et après le conflit. Leur rapport souligne l’ampleur des dommages infligés au patrimoine albanais par les forces serbes. Quant aux dégâts subis par les églises orthodoxes, ils sont plutôt dus aux représailles albanaises qu’aux bombardements.
LONDRES (de nos correspondants) - Lors de la guerre menée par l’OTAN contre la Yougoslavie, entre mars et juin 1999, les Serbes s’étaient émus, notamment via l’Internet, de la destruction de leurs monuments. Les principaux édifices byzantins, à Gracanica, Decani et au patriarcat orthodoxe de Pec, sont pourtant toujours debout, sous la protection des soldats de la KFOR. Depuis la fin de la guerre, plusieurs églises de moindre importance sont toutefois devenues la cible des représailles albanaises. Afin de dresser un bilan équilibré, András Riedlmayer, bibliothécaire de l’université de Harvard, et l’architecte Andrew Herscher ont enquêté sur les dommages causés au patrimoine serbe et albanais pendant et après la guerre de 1998-1999 au Kosovo. Leur rapport (Kosovo Cultural Heritage Survey) détaille la destruction délibérée par les forces serbes de trois des quatre centres urbains historiques de l’époque ottomane : Pec, Djakovica et Vucitrn. En revanche, Prizren a été épargnée, à l’exception d’un musée incendié par la police serbe, des dégâts imputés aux bombardements alliés par le Livre blanc du gouvernement serbe Crimes de l’OTAN en Yougoslavie.
Un tiers des 600 mosquées du Kosovo ont subi le même sort, tandis qu’une grande partie des habitats traditionnels en pierre a été incendiée ou minée. Seuls 10% des kullas – ces tours d’habitation en pierre – resteraient intacts. À Pec, András Riedlmayer a visité dix mosquées toutes ruinées, à l’instar du bazar et de toutes les maisons historiques appartenant aux vieilles familles albanaises de la ville : “Le nettoyage ethnique a de toute évidence cherché à détruire tout ce qui était ancien, beau et albanais.”
“Il est évident d’après le type de dégâts observés que la destruction a été délibérée et ne constitue pas un dommage collatéral des opérations militaires, explique-t-il ; les mosquées ont été incendiées de l’intérieur et les minarets soufflés par des explosifs placés en leur sein, provoquant la chute de la flèche sur les bâtiments.” Dans la ville de Vucitrn, au nord de Pristina, il a trouvé la mosquée principale, la Carshi Xhamia, rasée jusqu’au sol. Un témoin oculaire lui a alors expliqué que, le 27 mars, des paramilitaires serbes menés par le leader nationaliste local, Zoran Vukotic, avaient mis le feu à cet édifice, avant d’envoyer le bulldozer. Le même traitement avait été infligé au bazar voisin d’époque ottomane. Avec une présence de l’Islam remontant à quelque six cents ans, le Kosovo était une des rares régions dans les Balkans, où un patrimoine européen musulman avait survécu.
Récemment, Slobodan Curcic, spécialiste de l’architecture médiévale des Balkans, a repris, dans un article, les allégations de l’Église orthodoxe serbe, selon lesquelles, depuis juin 1999, plus de 80 églises avaient été profanées ou détruites. D’après ce qu’il a vu, András Riedlmayer juge cette estimation crédible : la moitié a été sérieusement endommagée et l’autre vandalisée, mais leurs structures restent intactes. D’autre part, si la majorité des édifices concernés sont modernes, certains datant même des années quatre-vingt-dix, une douzaine de monuments anciens ont été détruits, comme l’église de la Présentation-de-la-Vierge à Dolac. Fejaz Drancolli, directeur de l’Institut du Kosovo pour la conservation des monuments historiques, avait participé à la restauration des fresques de cette église dans les années quatre-vingt. Visitant ces ruines, il ne peut cacher sa consternation : “Ce sont les Albanais qui sont responsables. Ils pensaient ainsi se venger mais ceux qui ont fait ça sont des ignorants. Car c’est aussi une partie de notre patrimoine.” La plupart de ces attaques ont eu lieu l’été dernier, dans les semaines qui ont suivi l’arrêt des hostilités. Depuis la fin de l’été, leur nombre s’est considérablement réduit – huit incidents ont causé des dommages aux églises en neuf mois –, grâce à la vigilance accrue de la KFOR et aux appels à l’apaisement lancés par les leaders civils et religieux albanais.
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Kosovo, guerre au patrimoine
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°108 du 30 juin 2000, avec le titre suivant : Kosovo, guerre au patrimoine