Un Berlusconi de cire pendu au milieu de la galerie Massimo Minini à Brescia. L’œuvre de Jota Castro juxtapose un engagement intellectuel rigoureux et un certain esprit de provocation.
Jota Castro, artiste franco-péruvien, investit le territoire de l’art pour poser des questions sans censure ni tabou, et n’hésite pas à répondre à l’image par l’image lorsqu’il en ressent personnellement le besoin. Ainsi le cas Berlusconi. Les innombrables dérapages verbaux du président du Conseil italien agrémentent les journaux télévisés, mais les comparaisons historiques peu avantageuses qu’ils peuvent provoquer sont rarement exprimées ouvertement. La référence directe à l’exécution du Duce dans Mussolini n’a jamais tué personne, ou la reprise lyrique des débats européens entre messieurs Schultz et Berlusconi dans la vidéo 2 juillet 2003, proposent ainsi de tester la méfiance du monde de l’art à l’égard de ce qui colle trop à l’actualité. Œuvres qui exploitent également la relative liberté de pensée dont les arts visuels disposent encore. Utiliser l’art à des fins non idéologiques, mais à coup sûr polémiques, comme l’un des rares espaces où évoquer des choses graves avec le sourire demeure toléré.
L’œuvre résulte souvent d’un processus de travail et de documentation beaucoup plus fastidieux, sans cesse stimulé par une curiosité exponentielle. Le passé professionnel de Jota Castro dans le champ du droit international renseigne ainsi quant à la pertinence des analyses juridiques qui sont à l’origine de plusieurs de ses travaux. Jamais pourtant l’œuvre ne tombe dans la démonstration pédante, reflétant au contraire un effort permanent de simplification. Fort de sa longue collaboration avec l’Union européenne, Jota Castro propose l’une des réflexions les plus pertinentes sur le thème de la construction européenne. Au travers de ses travaux conceptuels politiques, tels qu’il les définit lui-même, il pointe ainsi les issues majeures qui sont discutées quotidiennement à Bruxelles et déterminent l’avenir de centaines de millions d’Européens. La série des Mètres de problèmes comprime ainsi dans l’objectivité du mètre étalon des problématiques juridiques et économiques
actuelles tandis que la sculpture Euro Garbage accumule dans une poubelle six mètres de documents, rapports, livres de compte, soit le matériel de travail hebdomadaire d’un juriste de la commission.
Jota Castro a toujours su concilier ses activités bureaucratiques avec une certaine fascination pour l’action sociale et l’énergie collective véhiculée par les rassemblements de foule. Le Guide de survie pour manifestants présenté à la Biennale de Venise dans l’exposition « ZOU » de Hou Hanru illustre bien la manière dont décontraction et sérieux cohabitent efficacement chez Jota Castro. Ce Lonely Planet pour touriste engagé brasse avec énergie toutes les informations nécessaires aux préparatifs d’un voyage-manifestation et dresse un panorama des problématiques et des enjeux contemporains de la protestation de rue.
La diversité de la production intellectuelle et artistique de Jota Castro lui permet de résonner dans d’autres sphères, et de prêter par endroits ses idées à une marque de jeans ou un groupe de hip-hop américain, ou encore sa voix à un groupe rock belge. Dès qu’une occasion de s’exprimer se présente, en somme, au cœur d’une quête créative dans laquelle Jota Castro s’est engagé bien avant de se déclarer artiste. D’abord poète remarqué dans son pays d’origine, Jota Castro a ensuite développé une activité de peintre en parallèle à sa carrière de juriste, avant de préférer la carrière artistique à tout autre à partir de 1998. Désormais aguerri aux mécanismes du monde de l’art, flatté et amusé de l’intérêt grandissant qu’on porte à son œuvre, Jota Castro s’engage dans sa création de manière forcenée. La force de travail déployée au cours des derniers mois pour satisfaire un calendrier d’expositions bien rempli (Biennale de Tirana, exposition personnelle à la galerie Massimo Minini de Brescia, sur le stand de la galerie Kamel Mennour lors de la dernière Fiac) témoigne d’un même engagement intellectuel et physique. Jota Castro réagit ainsi souvent à des problématiques juridiques, économiques ou politiques par le biais d’actions (ou d’événements), provocatrices dans leur forme, pertinentes dans leurs intentions. L’organisation d’une loterie à Tirana pour permettre à un
Albanais de gagner 1 000 euros (soit le salaire annuel d’un cadre supérieur albanais) et ainsi
rejoindre la Communauté européenne soulevait la question du dramatique isolement du pays et d’un peuple prêt à tout pour échapper à cette dureté quotidienne. Le Love Hotel installé plusieurs mois dans la galerie Maisonneuve, idéalement isolée au sommet d’une tour du XXe arrondissement, permettait autant de questionner les implications juridiques d’une galerie d’art mue en cocon libertin à sa fermeture que d’offrir un espace de débat innovant. La curiosité déployée par la presse face à cette installation illustre le sens de la communication de Jota Castro : une volonté de faire valoir sa parole d’artiste, de faire résonner ses intuitions et sa propre subjectivité dans la cité.
Rien d’étonnant à ce que Jota Castro dérange et divise. Critiqué par une partie de la presse italienne, censuré par la majorité des journaux transalpins qui n’osèrent pas publier certaines images de sa récente exposition-charge à la galerie Massimo Minini, Jota Castro est fréquemment pris pour cible par les milieux intellectuels. Mais lorsque Susan Sontag, découvrant l’œuvre Motherfuckers never die sur un plateau de télévision (Campus de Guillaume Durand, 9/10/2003), lui reproche d’être nihiliste et de pratiquer le degré zéro de la politique , elle oublie sans doute le caractère personnel de la liste de Jota Castro et son humour sous-jacent, en l’absence de critères objectifs pour définir qui est Motherfuckers et qui ne l’est pas. Bien sûr, la cohabitation de Mussolini, Maradona et Walt Disney sous la bannière Motherfuckers never die a de quoi choquer, si on se refuse à la lire au second degré.
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Jota Castro : « Mourir pour des idées, d’accord, mais... »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°554 du 1 janvier 2004, avec le titre suivant : Jota Castro : « Mourir pour des idées, d’accord, mais... »