La ville de Nancy rend hommage à Jean Prouvé, l’architecte touche-à-tout qui fut notamment le concepteur d’unités d’habitation d’une singulière modernité, sinon d’une étonnante actualité.
Il ne faut surtout pas dessiner d’utopies, car l’évolution n’est possible que par la constatation, qui fait alors progresser. Ancré dans le réel, Jean Prouvé (1901-1984) l’était sans conteste, comme en témoigne cette citation dont il est l’auteur. Pour autant, l’architecte ingénieur et brillant touche-à-tout n’aura pas manqué d’inventer des concepts novateurs, adaptés à une époque traversée par les secousses de la guerre. Une capacité conceptrice associée à une grande attention aux usages et à un profond respect pour les techniques artisanales, qui font de ses créations pourtant standardisées, plus de cinquante ans après, des références incontournables de l’art moderne. Pour preuve : les collectionneurs s’arrachent à prix d’or ses meubles industriels alors que ses abris pour sinistrés, curieux paradoxe, s’exposent dans les foires les plus courues de la planète. Une "folie Prouvé" qui ne se dément pas depuis le début des années 2000, même si sa cote sur le marché semble aujourd’hui s’être stabilisée.
Avec le mobilier, la production en série
Né dans un milieu artistique, fils du peintre Victor Prouvé qui était engagé dans la mouvance de l’Art nouveau, le jeune Jean sera inévitablement embarqué dans l’aventure de l’école de Nancy, mouvement artistique dans lequel ont été promues des valeurs de décloisonnement des disciplines artistiques. Formé d’abord à la ferronnerie d’art, ce natif de Paris retourne rapidement dans la ville familiale, à Nancy. S’il y installe en 1924 son premier atelier de ferronnerie, il collaborera peu après, à Paris, avec les pionniers de l’architecture moderne, tels Mallet-Stevens et Le Corbusier.
Dès 1929, Jean Prouvé dépose son premier brevet pour une cloison amovible, démontrant ainsi son intérêt – il deviendra "le pape du mur-rideau" – pour les systèmes constructifs novateurs. Un an plus tard, Prouvé adhère à l’Union des artistes modernes (UAM) dont il est l’un des membres fondateurs. Commencera alors la production de meubles en série, qui seront ensuite diffusés dans de nombreux équipements de collectivités publiques (écoles, administrations...).
Dans la Lorraine sinistrée, son engagement social
La guerre va toutefois lui faire découvrir d’autres réalités. C’est en effet à partir de 1945 que son engagement social va se concrétiser. L’ancien résistant devient brièvement maire de Nancy, mais découvre surtout l’importance de l’aide aux sinistrés. Il se lance alors dans la conception de modules d’habitat d’urgence, totalement démontables, destinés aux habitants des villages bombardés de Lorraine. Son habitude de la production en série, au sein de ses propres ateliers, le guide logiquement vers une réflexion autour de l’architecture "industrialisable" .
Ses projets, auxquels il réfléchit depuis 1944, sont de véritables maisons standardisées. La commande est officielle : elle émane du fameux MRU, le ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme. Ces maisons en kit de Prouvé sont alors révolutionnaires : acheminées en pièces détachées usinées dans ses ateliers de Maxéville, près de Nancy, elles sont entièrement assemblées sur place, grâce à leurs éléments de bois et métal, utilisé avec parcimonie pour cause de pénurie. Trop en avance sur leur temps, ces prototypes, pourtant géniaux, n’auront pas le succès escompté : le MRU leur préférera des constructions en dur... Au final, seules quelques maisons, une quarantaine en tout, seront réalisées.
Mais Prouvé ne s’arrêtera pas là. L’idée du démontable, une pensée constructive d’ensemble qu’il adapte autant à ses maisons qu’à ses meubles, ne le quitte pas. C’est donc à partir de ce principe qu’il va continuer à concevoir une série d’habitations similaires, toujours adaptées à leur contexte. Ainsi d’une version destinée à l’Afrique, la "Maison tropicale" , conçue en 1947-1949 pour les anciennes colonies, d’où son adaptation aux exigences climatiques. Là encore, le succès ne sera pas au rendez-vous : seulement deux maisons seront montées.
La réponse de Jean Prouvé à l’appel de l’abbé Pierre
L’innovateur Prouvé se heurte sans cesse aux réalités administratives. Il ne se décourage pourtant pas. Après avoir entendu l’appel de l’abbé Pierre, à l’hiver 1954, appelant à une mobilisation en faveur des sans-abri, il se lance dans une nouvelle aventure. Il reprend un concept mis au point en 1952 avec l’architecte Maurice Silvy (la Maison Alba) pour imaginer une construction posée sur un socle de béton, conçue en bloc préfabriqué d’acier. La structure s’appuie, à l’aide d’une poutre pliée, sur le bloc sanitaire central, qui abrite cuisine et pièces d’eau. L’ensemble est couvert de bac acier et fermé par une enveloppe de panneaux sandwich en bois thermoformé.
Ces 52 m2, aussi fonctionnels qu’élégants, construits avec des matériaux simples, sont montables en sept heures, comme le démontre l’architecte lors d’un happening devant une nuée de journalistes ! Dans le cadre du Salon des arts ménagers de 1956, un prototype peut en effet être présenté sur le pont Alexandre-III, grâce au soutien de la lessive Persil. Il suscite l’enthousiasme de la critique, mais aussi l’admiration de Le Corbusier. Las ! Cette Maison des jours meilleurs sera retoquée par le service de l’homologation, préalable indispensable avant une fabrication en série. Motif ? Les pièces d’eau, situées dans le bloc central, ne disposent pas d’ouvertures sur l’extérieur.
La Maison des jours meilleurs, une réponse à l’actualité ?
Ironie de l’histoire, cette maison, comme les autres, est aujourd’hui devenue objet de collection. Pas sûr que Prouvé aurait apprécié. À moins que le retour de la crise du logement dans les grandes villes, et sa cohorte de tentes logeant les SDF qui s’est déployée depuis quelques années à Paris, ne permette enfin de rouvrir la réflexion sur la question de l’habitat d’urgence. Et d’exhumer ces prototypes géniaux pour ce qu’ils sont : une réponse pertinente et encore très actuelle.
Cet été, Nancy célèbre Jean Prouvé. Celui qui a construit de nombreux édifices de la cité lorraine, et auquel un itinéraire urbain rendra hommage, depuis sa maison-atelier (1954) jusqu’à la bibliothèque universitaire (1937-1938), en passant par le centre paroissial du Haut-du-Lièvre (1963), est honoré par les musées de la ville. Le Musée des beaux-arts vient ainsi de se doter d’une galerie dédiée à l’architecte ingénieur et réunissant plusieurs créations significatives. Une Maison tropicale est par ailleurs montée dans le jardin du musée, permettant aux visiteurs d’expérimenter physiquement cet espace novateur. De son côté, le Musée lorrain se concentre sur le parcours de l’architecte alors que le Musée de l’école de Nancy met en valeur ses productions de ferronnerie de style Art déco. Plus loin, à Jarville-la-Malgrange, dans l’agglomération de Nancy, le Musée de l’histoire du fer dispose lui aussi d’une galerie permanente dédiée à Prouvé. À l’extérieur, dans le Jardin des structures , portique, structure réticulaire, auvent, béquille, shed sont présentés à l’échelle 1 pour donner à comprendre la pensée constructive de Prouvé. Enfin, pour ceux qui n’auront pas le loisir de se rendre en Lorraine, une Maison des jours meilleurs a été remontée dans la galerie parisienne de Patrick Seguin, ardent promoteur de la réhabilitation de l’architecte.
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Jean Prouvé - Premier architecte de l’urgence
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Du 30 juin au 28 octobre 2012, à Nancy :
- Jean Prouvé, ferronnier d’art au Musée de l’école de Nancy. Ouvert du mercredi au dimanche de 10 h à 18 h. Tarifs : 6 et 4 €. www.ecole-de-nancy.com
- Jean Prouvé à Nancy, construire des jours meilleurs, au Musée lorrain. Ouvert du mardi au dimanche de 10 h 30 à 12 h 30 et de 14 h à 18 h. Tarifs : 4 et 2,5 €. www.nancy.fr
- La Maison tropicale au Musée des beaux-arts. Ouvert tous les jours sauf le mardi de 10 h à 18 h. Tarifs : 6 et 4 €. www.mban.nancy.fr
- L’émotion design, la collection d’Alexander von Vegesack aux galeries Poirel. Ouvert du samedi au lundi de 14 h à 18 h et du mercredi au vendredi de 13 h à 18 h. Tarifs : 4 et 2 €. www.poirel.nancy.fr
Prouvé à Paris.
La Galerie Patrick Seguin présente la Maison des jours meilleurs de l’architecte Jean Prouvé en 1956 après l’appel d’urgence de l’abbé Pierre pour le logement des sans-abri. Exposée sur le pont Alexandre-III pour le Salon des arts ménagers, elle ne fut jamais homologuée pour une construction en série. Elle reste néanmoins le plus parfait moyen d’habitation , selon Le Corbusier qui la visita à l’époque. Jean Prouvé/Architecture. Maison des jours meilleurs, 1956 , jusqu’au 29 septembre 2012. Galerie Patrick Seguin. www.patrickseguin.com
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°648 du 1 juillet 2012, avec le titre suivant : Jean Prouvé - Premier architecte de l’urgence