Jean-Pierre Raynaud, la beauté du geste

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 20 décembre 2007 - 608 mots

Mars 1993. Juché sur le tas de pierres du mur de sa maison que la pelleteuse vient de défoncer, Jean”‘Pierre ­Raynaud emplit les petits containers d’acier poli qu’il a disposés tout autour de lui.

Au terme de vingt-quatre ans d’une permanente transformation du pavillon de banlieue dans lequel il avait emménagé en 1969 et après en avoir fait un havre de paix tout entier recouvert de carreaux de céramique blanche, l’artiste a décidé de le raser. À la crainte de le voir devenir un objet-musée, il a préféré sa complète disparition et choisi d’en disperser les restes sous la forme d’une œuvre d’art dans un millier de containers.

L’homme au monde
Été 1996. Assis en position du lotus, Jean‑Pierre ­Raynaud pose devant son Pot doré à l’intérieur de la Cité interdite, à Pékin, centre non seulement du pouvoir politique mais aussi du monde lui-même selon la philosophie chinoise. Pour la première fois, un artiste a obtenu l’autorisation de faire pénétrer dans l’enceinte sacrée une œuvre d’art. Un mois durant, son pot-sculpture est resté là, au voisinage immédiat de ces maisons millénaires, jadis résidence de l’empereur. Raynaud est assis, la tête droite, le regard lointain, habillé de noir, jambes croisées, les mains au sol. Il semble être seul au monde.
Décembre 2005. Debout, bien campé sur ses deux jambes, tenant à bout de bras un drapeau tendu sur châssis aux couleurs de la Corée du Nord, Jean-Pierre Raynaud pose devant le poste frontière, entre le Nord et le Sud, juste sur la ligne de démarcation. Le visage est quelque peu crispé, d’autant que l’artiste brandit au plus haut son œuvre. Si c’est pour lui « une manière de tester sa liberté, de tester son courage », Raynaud explique que, ce faisant, il a voulu surtout tester les limites de l’art sur le terrain géopolitique. Preuve est faite qu’elles sont illimitées puisque lui, l’artiste, a pu réaliser ce qu’aucun Coréen ne peut faire.
Maison, pot, drapeau, tout l’art de ­Raynaud procède de gestes inauguraux. D’ailleurs chacun des actes de sa vie personnelle est régi par une même dynamique radicale et la notion de projet en est le vecteur essentiel. ­Raynaud n’est pas de nature à se laisser guider par les événements ; il cherche toujours à les maîtriser, voire à les anticiper, pour mieux les inscrire à l’ordre de sa démarche. Sa vie se confond avec son œuvre, l’une et l’autre se construisant dans une suite ininterrompue de « gestes qui définissent les rapports de l’homme au monde », comme l’a écrit ­Gilbert ­Perlein.
Si l’homme, comme il le dit, n’a aucun humour et qu’il prend tout avec une certaine gravité, il n’en est pas moins capable d’émerveillement et demeure fasciné par la couleur. Jusqu’à vouloir libérer celle de ses drapeaux de leur charge conceptuelle. Sa dernière livraison, faite d’assemblages de pots de peinture laqués blancs dont les couvercles seuls sont colorés et qui fonctionnent comme autant de compositions géométriques abstraites, en dit long sur sa dette à l’égard d’un artiste comme ­Mondrian. La même rigueur à l’œuvre et dans la vie, la même quête absolue du beau – de la beauté pure.

Biographie

1939 Naissance à Courbevoie. 1958 Obtient un diplôme d’horticulture. 1962 Premières œuvres. 1969 Construit la maison de La Celle-Saint-Cloud. 1983 Reçoit le Grand Prix National de la Sculpture. 1993 Destruction de la maison de La Celle-Saint-Cloud. Prix d’honneur de la Biennale de Venise. 1998 Rétrospective à la Galerie du Jeu de Paume, à Paris. Le Pot doré de la Fondation Cartier est installé devant le Centre Georges Pompidou. 2004 Réalisation de la pierre tombale de Pierre Restany au cimetière Montparnasse. 2008 Vit et travaille à La Garenne-Colombes.

« Raynaud Peinture », galerie Patrice Trigano, 4 bis, rue des Beaux-Arts, Paris VIe, tél. 01 46 34 15 01, du 15 janvier au 23 février.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°598 du 1 janvier 2008, avec le titre suivant : Jean-Pierre Raynaud, la beauté du geste

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