Le photographe du Salut les copains des années yé-yé voit désormais
ses photos exposées en galeries et acquises par les collectionneurs.
Interview sans langue de bois.
L'œil : À la fin des années 1950, vous débutez votre carrière avec le futur fondateur du premier grou-
pe de presse mondial, Daniel Filipacchi. Aujourd’hui, la galerie Polka vous rend hommage : quel effet cela fait-il d’être considéré comme un photographe d’art et non plus de presse ?
Jean-Marie Périer : C’est la nostalgie de ces années-là qui a fait remonter ces photos à la surface et qui me permet, depuis quinze ans, d’en vivre ; les mêmes qui accrochaient ces clichés du magazine Salut les copains dans leurs chambres d’adolescents, les achètent aujourd’hui, beaucoup plus cher. Les photographes à l’époque faisaient du noir et blanc pour être considérés comme des artistes, moi je faisais de la couleur pour plaire aux jeunes lecteurs. Longtemps ce monde de petites chapelles de commissaires d’exposition m’a méprisé : en France, le succès populaire est très mal vu ! À présent, les mêmes disent que c’est de l’art. Ce n’est ni de l’art, ni de la merde, ce sont mes photos !
L’œil : Combien valent vos photos aujourd’hui ?
J.-M. P. : Entre 3 000 et 30 000 euros pour des clichés tirés au maximum à trente exemplaires. Ce sont les galeries et les maisons de ventes aux enchères qui ont fixé ces prix. Ce n’est pas à moi à juger si c’est de l’art.
L’œil : Vous en voulez à ce monde de l’art qui vous a ignoré longtemps ?
J.-M. P. : Non, d’autant que je n’ai pas fait seulement de la photo dans ma vie. Pendant quinze ans, de 1975 à 1990, je suis parti à Los Angeles où j’ai réalisé des films publicitaires pour de grandes marques comme Coca Cola, Canada Dry, Nestlé, Ford, Bic, Camel… Mais je suis sidéré par le discours prétentieux de certains photographes, dits « d’art », sur leur œuvre, pendant que par exemple des photojournalistes risquent leur vie pour montrer la réalité du monde et n’arrivent pas à vendre. De même, je n’ai pas de mépris pour les paparazzi, moi qui ai toujours eu la chance d’avoir des rendez-vous avec les stars.
L’œil : Ne prenez-vous pas un malin plaisir à ne pas rentrer dans des cases ?
J.-M. P. : Effectivement, je ne sers pas le discours qu’on a envie d’entendre, je ne porte pas la panoplie attendue. Jean Genet avait tout du peintre en bâtiment, pourtant c’était un grand écrivain, poète, dramaturge. Je ne vais pas me déguiser en Keith Richards parce qu’on m’organise une exposition rock ! Comme chacun sait, l’élégance consiste à paraître ce que l’on est.
L’œil : Êtes-vous acheté par de grands collectionneurs ?
J.-M. P. : Surtout aux États-Unis. Un collectionneur à New York et un autre au Texas achètent mes photos.
L’œil : Qui le premier vous a donné votre chance dans cet univers de l’art ?
J.-M. P. : Au début de sa campagne pour la mairie de Paris, j’avais trouvé très courageux de la part de Bertrand Delanoë d’avouer son homosexualité et je l’avais appelé pour lui proposer de faire ses photos de campagne. Quand en 2001, à l’occasion de la sortie de l’un de mes livres, je lui ai demandé si je pourrais à cette occasion exposer quelques photos, il m’a offert des espaces exceptionnels à l’Hôtel de Ville. Il a été gonflé de miser à ce point sur moi, mais l’exposition a attiré 150 000 visiteurs !
Suite à cela, j’ai été représenté par la Galerie 12, invité aux Rencontres d’Arles, fait l’objet d’une vente à Drouot par la maison de ventes Camard & Associés, etc. Mais, pour vous dire à quel point j’ai été longtemps en dehors des circuits, jusqu’en 1999 mes archives étaient toutes chez Filipacchi, et je ne m’en souciais pas !
L’œil : Vous avez eu plusieurs vies : photographe de presse, de mode, d’art, cinéaste, écrivain…
J.-M. P. : Tous les dix ans, j’ai changé de vie en effet. Il y a eu la période Salut les copains de 1962 à 1974, année de mon long métrage Antoine et Sébastien dans lequel ont joué Jacques Dutronc et mon père François Périer. Puis mon escapade américaine avec six cents films publicitaires tournés, et la parenthèse du long métrage Sale Rêveur, en 1978, pour retravailler avec mon ami Jacques Dutronc. Ensuite, le retour à Paris où j’ai renoué avec la photo grâce à ma sœur Anne-Marie Périer, à la tête du magazine Elle.
Tous les grands stylistes sont passés devant mon objectif : Saint Laurent, Armani, Lagerfeld, Tom Ford, Christian Lacroix, Jean-Paul Gaultier, Azzedine Alaïa… Et, parallèlement, des documentaires pour la télé. Enfin, la période actuelle, avec des expos dans les galeries, les maisons de ventes.
L’œil : Tout cela ne semble pas vous donner la grosse tête. Pas de langue de bois, pas de courbettes, pas de mondanités : vous ne cherchez pas à entretenir un réseau et vivez principalement dans l’Aveyron…
J.-M. P. : J’ai un pied-à-terre à Paris, mais je vis à Villefranche-de-Rouergue, dans une campagne qui n’intéresse personne, difficile d’accès, où il n’y a que des gens normaux. Si je m’expatrie pour retrouver les gens du Café de Flore, cela n’a pas d’intérêt ! L’esprit parisien, je ne le supporte plus. La critique y est méchante. Ma campagne est belle, silencieuse. À 73 ans, la vie en ville m’est insupportable.
L’œil : So far away from L.A. !
J.-M. P. : Le rêve américain, je l’ai vécu, j’ai été le roi du pétrole. J’en suis revenu. Ce que j’aime surtout aux États-Unis, c’est le cinéma, autrement c’est pour moi le pays qui a inventé la solitude ! Même à New York, on est seul.
L’œil : Pourquoi avez-vous choisi d’exposer chez Polka ?
J.-M. P. : C’est une galerie qui a un vrai regard sur la photo et un magazine de qualité, pas un prétexte pour montrer des femmes nues ! Je fais deux sortes d’expos : certaines pour des amateurs acheteurs, comme chez Polka, et d’autres pour le plaisir, pour un large public, comme cela est prévu à Toulouse l’an prochain. Parce que les yé-yé intéressent encore. Dans mes expositions, il y a trois générations, car la plupart de ces yé-yé sont encore vivants, à part Clo-Clo. C’est miraculeux que le public soit encore intéressé par ce que vous avez fait il y a un demi-siècle !
L’œil : Est-ce une revanche ?
J.-M. P. : Non, je ne le vis pas comme cela. Mais je constate que l’ostracisme de curateurs et de responsables d’institutions culturelles m’a longtemps interdit d’exposition, alors que les maires eux-mêmes me réclamaient, comme Alain Juppé à Bordeaux. C’est terrifiant de constater que la vision de ces commissaires l’emporte sur les photos elles-mêmes : on dirait que ce sont eux qui font de l’art.
L’œil : Est-ce aussi pour cela que
vous avez eu envie de vous raconter, pour que l’on vous connaisse mieux ?
J.-M. P. : J’ai publié en effet beaucoup de livres en une douzaine d’années, six de photos, six d’écrits. J’ai aussi commis un roman au ton insolent, qui sortira en 2014. L’édition, encore un domaine où il y a des chapelles ! C’est de mon premier livre, autobiographique, Enfant gâté, dont je suis le plus fier. Bernard Fixot m’avait dit : « Tu dois écrire ton histoire. »
J’ai eu la chance de grandir dans un hôtel particulier de Neuilly où tout le monde des arts et spectacles était convié. Ainsi, j’ai fait du latin grâce à Louis Jouvet – un homme extraordinaire – qui m’en a convaincu.
Être élevé dans un tel milieu m’a apporté une décontraction pour ensuite aborder les stars. Mon livre s’est vendu à 50 000 exemplaires. Frédéric Beigbeder et Yann Moix m’ont encouragé dès sa sortie ; c’était très important pour moi : ils sont intelligents, prescripteurs d’opinion, jeunes. Oncle Dan s’est aussi écoulé à 10 000 exemplaires.
L’œil : De toutes ces stars que vous avez photographiées, avec lesquelles avez-vous le plus d’affinités ?
J.-M. P. : Françoise Hardy et Jacques Dutronc, c’est la famille. Je suis proche aussi de Johnny, j’admire Mick Jagger. Mais je garde un bon souvenir de tous ces artistes. Les problèmes d’image et d’ego n’existaient pas, c’était une époque de gaieté et de liberté dont je m’efforce de ne pas être nostalgique. De même Lagerfeld, Gaultier, Galliano, tous m’ont accueilli très gentiment.
L’œil : Quels sont vos photographes préférés ?
J.-M. P. : Jean-Paul Goude, Jean-Baptiste Mondino, Patrick Swirc…
L’œil : Êtes-vous collectionneur ?
J.-M. P. : J’ai collectionné les films, les vidéos, les disques. Tout a brûlé dans ma maison il y a cinq ans. Mais après tout, ce n’est pas grave, cela oblige à recommencer une autre vie. J’ai ainsi reconstruit ma maison différemment.
L’œil : Vous semblez avoir une grande faculté d’adaptation ?
J.-M. P. : François Périer m’a appris l’humour, le recul, comme Filipacchi. J’aime ne pas savoir ce que je ferai demain, je me fie beaucoup au hasard, je suis comme une boule de billard. Et je crois que je suis apte au bonheur : ça ce n’est pas une question de classe sociale ni de pognon !
L’œil : Un regret ?
J.-M. P. : Ma vie, c’était la musique. Et je me suis interdit d’y toucher depuis l’âge de 16 ans, à cause de mon père biologique, Henri Salvador. J’étais à « ça » des meilleurs artistes de jazz, de rock, au monde. Count Basie, Miles Davis, Dexter Gordon, j’écoutais leur musique 24 heures sur 24, mais moi je n’en faisais pas…
Jusqu’au 4 mai, la galerie Polka présente vingt-trois photographies des plus grandes légendes du rock’n’roll prises par Jean-Marie Périer dans les années 1960, de Chuck Berry aux Beatles. Paul McCartney, émergeant d’un large fauteuil, John Lennon, cigarette aux doigts, Ringo Starr, lunettes sur le nez, et George Harrison, les pieds sur l’accoudoir : les « quatre garçons dans le vent » languissent dans leur chambre d’hôtel entre deux concerts. Bob Dylan, clope au bec, crinière sous les projecteurs et guitare à la main monte sur scène et Keith Richards, assis à même le sol de son jet privé, est saisi en pleine partie de poker. Pendant douze ans, le photographe a suivi et partagé la vie de ces stars du rock pour le magazine Salut les copains livrant des images devenues iconiques. Comme l’une des premières couvertures de la revue montrant les Beatles derrière une porte rouge entr’ouverte.
Galerie Polka, « Rock’n’roll », jusqu’au 4 mai, www.polkagalerie.com
1940 Naissance à Neuilly-sur-Seine.
1962-1974 Photographe pour le magazine Salut les copains.
1978 Réalisation du long métrage Sale Rêveur avec Jacques Dutronc.
Années 1980 Installé aux États-Unis, il réalise plusieurs centaines de films publicitaires.
2001 Première grande exposition de ses photographies à l’Hôtel de Ville de Paris.
2008 Réalisation de programmes courts sur les années 1960 pour France 5.
2012 Publication du recueil Rencontres dans lequel les souvenirs du photographe accompagnent ses clichés.
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Jean-Marie Périer : « Ce n’est ni de l’art, ni de la merde, ce sont mes photos ! »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°657 du 1 mai 2013, avec le titre suivant : Jean-Marie Périer : « Ce n’est ni de l’art, ni de la merde, ce sont mes photos ! »