Au cours de sa première année rue de Valois, Aurélie Filippetti a essentiellement annulé des projets et lancé des concertations. Il en résulte un désamour grandissant avec le monde de la culture.
PARIS - Ce n’est pas encore le divorce entre Aurélie Filippetti et le monde de la culture, mais « on en arrive presque à regretter la droite », confesse un directeur d’institution. La lune de miel n’aura duré que l’été, entretenue par quelques petits cadeaux d’une ministre auréolée de sa confortable réélection au poste de député de Moselle, poste qu’elle abandonne tout aussitôt pour rester au Gouvernement. Ce fut d’abord le départ forcé d’Isabelle Lemesle, une proie facile compte tenu des polémiques que la présidente du Centre des monuments nationaux (CMN) avait suscitées, puis ce fut le dégel des crédits d’intervention déconcentrés du spectacle vivant juste avant la saison des festivals, et le retour de la TVA sur le livre à 5,5 %, avant d’enterrer la Maison de l’histoire de France, un symbole du sarkozysme tant honni par la gauche. Entre-temps, elle aura suscité l’espoir chez les archéologues en évoquant une remise en cause des opérateurs privés puis celle des « créateurs », beaucoup plus nombreux, en annonçant aux députés « une grande loi d’orientation sur la création ». La ministre parvient même à effacer sa désastreuse déclaration sur le mécénat De Wendel en évitant le grand coup de rabot fiscal que voulait lui imposer Jérôme Cahuzac, alors ministre du Budget.
Plusieurs abandons de projets
Mais après l’été, viennent rapidement l’automne et même l’hiver, plus vite que prévu, tant les annonces de la rentrée ont jeté une douche froide. Le 10 septembre, la ministre révèle dans Le Monde, l’abandon de plusieurs projets « non financés par l’équipe précédente ». Adieu le Musée photographique à l’hôtel de Nevers, la nouvelle réplique de Lascaux, la salle supplémentaire de la Comédie-Française à la Bastille, le grand centre de réserves à Cergy. Les travaux de Versailles et du Grand Palais sont rééchelonnés. Même le projet Tour Médicis/Utrillo est reconsidéré. Le coup de grâce touche le Centre national de la musique qui ne verra pas le jour. « Je reprendrai le chantier du Centre national de la musique, pour en faire un outil au service de la diversité culturelle et de l’ensemble du spectacle vivant », avait pourtant annoncé le candidat Hollande lors de son grand discours de Nantes. La ministre assume crânement tous ces enterrements, au nom des contraintes budgétaires, quitte à lâcher du lest lorsque la pression des élus est trop forte, comme ce fut le cas pour Lascaux 4. Elle positive même la situation d’une formule avantageuse en apparence, mais au fond réversible : « l’addition des grands équipements ne fait pas une politique culturelle », répète-t-elle à l’envi sans pour autant se prononcer sur les conséquences de certains abandons. Car les menaces que font peser d’éventuelles crues de la Seine sur les réserves du Louvre n’ont pas diminué avec le changement de majorité et rien n’est pour l’instant envisagé. De même, aucun plan n’est prévu pour les espaces libérés par les Archives nationales, initialement dévolus à feu la Maison de l’histoire de France.
Ayant annulé « 1 milliard d’euros de projets non financés », la ministre allait-elle au moins sauver son budget ? Pas vraiment. Les crédits de paiement du Patrimoine et des arts plastiques baissent chacun d’environ 10 %. Du jamais vu, même sous la droite. Au fur et à mesure que les musées, centres d’art, écoles apprennent les conséquences que cela entraîne sur leur propre budget, le mécontentement grandit. Même le spectacle vivant qui est pourtant relativement épargné (-1 %) donne de la voix. Il y a quelques jours, le Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles s’est offert une demi-page dans Le Monde pour alerter la ministre. « La situation de notre secteur est au bord de l’explosion, simplement maintenue en suspens par une sorte de solidarité instinctive avec notre Gouvernement. Mais si celui-ci nous lâche, les choses se dégraderont très vite. Le souvenir de l’été 2003 est un cauchemar pour tous ». La menace de manifestation et d’annulation des festivals est à peine voilée. Les inquiétudes montent aussi du côté des écoles d’art qui ne veulent surtout pas, à l’inverse des écoles d’architectures, d’une cotutelle avec le ministère de l’Enseignement supérieur. La ministre a voulu tout de suite calmer le jeu, mais Emmanuel Tibloux, le président de l’Association nationale des écoles supérieure d’art n’est « qu’à demi rassuré par les propos des deux ministres parus dans Libération sur la non cotutelle sur les écoles d’art ».
Des critiques surtout à gauche
Le paradoxe pour Aurélie Filippetti est que les attaques les plus violentes viennent de sa gauche. À droite c’est le désert. Empêtrée dans ses conflits, l’UMP et ses 240 secrétaires nationaux est incapable d’en trouver un seul pour commenter l’action du ministre et formuler des propositions. Il faut aller solliciter l’ancien ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres pour obtenir une critique mesurée : « J’ai le sentiment que tous les combats ne sont pas menés pour que les bons arbitrages soient rendus. Cela ne concerne pas uniquement le budget, mais la reconnaissance du champ culturel. » Le bouillant président du Syndicat national des Antiquaires, Christian Deydier, peu suspect de sympathies pour la gauche s’en tire avec une pirouette ironique : « Je ne peux rien dire sur la ministre pour la bonne raison qu’elle n’a pas voulu me rencontrer, me renvoyant à sa directrice de cabinet. Je regrette seulement que la circulaire préparée par l’ancienne équipe prévoyant le relèvement des seuils d’exportation n’ait toujours pas été signée ».
Même le plan d’Éducation artistique et culturelle, la grande priorité du Gouvernement suscite plus d’ironie chez ceux qui sont chargés de le concevoir que dans l’opposition. « C’était très sympa, mais franchement, je ne vois pas à quoi tout ça a servi », avoue ainsi Marie Desplechin qui a présidé le comité de pilotage de la consultation. De fait, l’engagement n° 44 sur 60 de François Hollande (le seul qui concerne la culture) n’est encore qu’un vaste plan de communication. Après avoir mené au pas de charge la consultation, la ministre n’a pris aucun engagement concret se contentant de rappeler avec certes beaucoup de convictions sa volonté que « le parcours annuel de chaque élève intègre le contact des œuvres, des artistes, des établissements culturels ». Une belle idée mais qui attend des chiffres sachant que le budget total alloué à l’éducation artistique a baissé de 10 % en 2013 : combien d’heures par mois ? Avec quels moyens ? Quelle proportion entre pratique artistique, histoire de l’art, visite de musée ? Avec un tel engagement aussi peu contraignant, un poster de Mona Lisa punaisé dans la classe pourrait faire l’affaire. Côté numérique l’autre priorité du Gouvernement, il faut encore attendre les mesures prises après la remise du rapport Lescure. Mais entre les créateurs et les partisans du téléchargement gratuit, il lui sera difficile de contenter des intérêts contradictoires.
Le désenchantement ne concerne pas simplement le monde culturel, le grand public aussi montre des signes de mécontentement ou d’impatience. Alors que sa cote de popularité, mesurée par le baromètre IPSOS dans Le Point, est revenue à son point de départ (soit 29 % de jugements positifs), le nombre de jugements négatifs, lui, ne cesse de monter pour atteindre 26 % au fur et à mesure que le nombre de sans opinion baisse (45 % en mai 2013).
L’équation personnelle de la ministre
Qu’est ce qui relève dans ce désamour grandissant, de la personnalité d’Aurélie Filippetti ou du contexte peu favorable ? Sa simplicité naturelle, son abord facile, sont indiscutablement des atouts. Sa volonté de décentraliser les chefs-d’œuvre des musées parisiens la rapproche des gens en région. Elle est courageuse, n’hésitant pas à défendre, à titre personnel, sur les plateaux de télévision sa position favorable à la gestation pour autrui à rebours de l’opinion. « Elle est intelligente », précise Renaud Donnedieu de Vabres qui ajoute cependant qu’« elle est protégée par son étiquette politique ». Les médias ont en effet passé sous silence ses vacances controversées à l’île Maurice et la disparition dans des conditions étranges de son directeur adjoint du cabinet. Son combat pour la féminisation des postes de direction dans la culture suscite la sympathie, même si elle n’a pas su ou pu mettre en œuvre ses injonctions. Du Louvre à l’Inrap, en passant par Orsay ou la direction de la création au ministère, sur les huit postes de direction à renouveler, aucun n’a été confié à une femme, même Isabelle Lemesle du CMN a été remplacée par Philippe Bélaval, son ancien directeur du Patrimoine au ministère. « Elle n’incarne pas assez la culture », « elle est trop mobilisée par le volet communication de son ministère », entend-on souvent. Il est vrai qu’il y a le feu dans cette partie de la rue de Valois : Presstalis en faillite, la presse quotidienne en grande difficulté, l’avenir de l’Audiovisuel extérieur de la France et les troubles en interne de France TV qui doit affronter de lourdes pertes financières, et puis le débat sur le financement du cinéma français relancé par la polémique Depardieu, où Aurélie Filippetti n’a pas été la dernière à lancer sa pierre contre le comédien. Ce sont autant de dossiers qui ont absorbé la ministre de la Culture. Le désenchantement relance inévitablement le débat sur l’affaiblissement du ministère « Le ministère pose un bon diagnostic sur les problèmes, mais n’apporte pas les réponses, il m’apparaît affaibli ; ce qui, quand bien même les temps seraient à la récession, est tout de même étonnant au regard de ce qu’on peut être fondé à attendre d’un gouvernement socialiste », constate Emmanuel Tibloux. On ne saurait mieux dire les choses.
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An I : le bilan Filippetti affiche surtout des soustractions
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Légende Photo :
Aurélie Filippetti. © Photo Didier Plowy/MCC
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°392 du 24 mai 2013, avec le titre suivant : An I : le bilan Filippetti affiche surtout des soustractions