Hongkong - Art contemporain

À Hongkong , un audacieux « coming out » queer

Organisée conjointement par la Fondation Sunpride et le centre d’art Tai Kwun, l’exposition « Myth Makers-Spectrosynthesis III » a placé l’art au service de la cause queer, sujet éminemment politique.

Hongkong. « Myth Makers-Spectrosynthesis III » (24 décembre 2022-10 avril 2023) présentait une centaine d’œuvres de 60 artistes contemporains de la communauté LGBTQ+. Consacrée intégralement aux artistes d’Asie et des diasporas du continent, l’exposition offrait une approche ad hoc pour parler d’un sujet controversé dans un contexte encore très tendu.

Organisée en collaboration avec le centre d’art Tai Kwun, Patrick Sun, collectionneur d’art et fondateur de la Fondation Sunpride, en est l’inspirateur. L’homme d’affaires hongkongais a fait fortune dans l’immobilier avant de créer sa propre fondation en 2014 afin de mettre en valeur « la riche histoire créative de la communauté LGBTQ+ ». Interrogé sur son parcours, il précise avoir eu pour mentor le collectionneur suisse Uli Sigg. Sa propre collection ne se limite pas pour autant à la Chine, mais embrasse la plupart des pays du continent, du Liban au Japon. La vocation de Sunpride est ainsi de soutenir la cause queer en Asie en utilisant l’art comme levier d’intégration et de tolérance.

L’exposition présentée à Tai Kwun, au cœur de Hongkong, est la troisième que Patrick Sun soutient après celles organisées au MoCA de Taïpei (Taïwan) en 2017 (« Asian LGBTQ Issues and Art Now ») et au Bangkok Art & Culture Centre (BACC, Thaïlande) en 2019 (« Exposure of Tolerance : LGBTQ in Southeast Asia »). Avec Hongkong, la Fondation Sunpride a ainsi investi trois villes de « l’Alliance du thé au lait » (Milk Tea Alliance), mouvement de solidarité transnational contre l’autoritarisme initié par les jeunes « netizens » (internautes influents, NDLR) de la région. Les trois expositions partagent en outre le surtitre « Spectrosynthesis », néologisme construit à partir du drapeau arc-en-ciel (spectro), symbole du mouvement LGBTQ+, et du processus de photosynthèse (photosynthesis). Abscons de prime abord, le terme peut également se comprendre comme une « radiance arc-en-ciel » en phase avec l’approche émulatrice et idiosyncrasique du projet. Toutefois, l’exposition prend soin de ne pas politiser plus encore un sujet qui l’est déjà. À cet égard, la promulgation de la loi sur la sécurité nationale (National Security Law) en juin 2020 a rendu la question de censure particulièrement sensible.

Droits et visibilité en progression à ce jour

Néanmoins Hongkong cultive encore sa différence sur le sujet par rapport à la Chine continentale. Un jugement de février 2023 de la cour d’appel de Hongkong a donné gain de cause à deux hommes transsexuels à qui les autorités refusaient de changer le sexe sur leur carte d’identité sans condition préalable de chirurgie de réassignation sexuelle (CRS). Le cinéma et la télévision accordent par ailleurs une visibilité accrue aux homosexuels : Un printemps à Hong Kong, film de Ray Yeung (sorti en France en juin 2021), met en scène l’histoire d’amour entre un chauffeur de taxi et un retraité. « Boyscation » est la première émission de télé-réalité gay de Hongkong diffusée sur la chaîne J2 du groupe TVB depuis 2021. Patrick Sun a également évoqué Oral Histories of Older Gay Men in Hong Kong (2019), monographie de Travis S. K. Kong, professeur en sociologie à l’université de Hongkong, sur l’histoire de la communauté homosexuelle locale. En outre, Hongkong deviendra la première ville asiatique à accueillir les Gay Games (3-11 novembre 2023) dans la foulée de la dernière édition organisée à Paris en 2018.

À noter toutefois que cette acceptation demeure sélective : l’homosexualité féminine reste plus marginalisée. L’activisme de la Fondation Sunpride ne s’émancipe d’ailleurs pas totalement de cet androcentrisme, héritier indirect de la tradition patriarcale chinoise. Patrick Sun souligne cependant les efforts accomplis depuis la première exposition de Taïpei. De fait, le nombre de femmes exposées à Hongkong est cinq à six fois supérieur à celui de l’exposition inaugurale de 2017. Cette inclusivité est probablement à mettre au compte (au moins partiellement) de Chantal Wong, cofondatrice du Women’s Festival Hong Kong et entrepreneuse culturelle très investie dans la cause féminine. Elle s’est vu confier le commissariat de l’exposition en duo avec Inti Guerrero, critique d’art d’origine colombienne.

Reflet du caractère délicat de leur mission, des certificats de conformité aux règles de censure ainsi que des restrictions en matière d’âge accompagnaient plusieurs cartels d’œuvres. L’une des galeries était interdite au public de moins de 18 ans alors que l’exposition était gratuite pour tous. L’une des dix vidéos de l’artiste Shu Lea Cheang a été censurée pour son caractère jugé obscène. Intitulée « 3x3x6 », cette série avait été exposée dans son intégralité lors de la 58e Biennale de Venise en 2019.

Tai Kwun, symbole d’une répression neutralisée

Les deux commissaires ont été séduits non seulement par les œuvres de la collection (un tiers provient de la Fondation Sunpride auquel s’ajoutent divers prêts comme ceux de la National Gallery Singapore), mais également par le lieu lui-même. Le centre d’art Tai Kwun se situe sur un site patrimonial datant de la colonisation britannique et qui inclut l’ancien commissariat de police central et la prison Victoria. Or Wong et Inti ont fait le choix de déployer la seconde partie de l’exposition, intitulée « Body Politics : Criminalisation, Control and Counter Narratives », dans l’espace jadis intégré au centre pénitencier.

Inauguré en 2018 après une longue période de rénovation et d’extension, Tai Kwun est devenu par ailleurs l’une des destinations culturelles et mondaines les plus prisées, étant situé à deux pas du principal quartier gay de la ville. Propriété du gouvernement de Hongkong, le site est administré par le Jockey Club, organisation à but non lucratif spécialisée dans les courses hippiques. Cette configuration publique/privée assure à Tai Kwun, dirigé par le conservateur allemand Tobias Berger, une certaine indépendance.

« Myth Makers » : une résilience « canto-queer »  

Sur les 60 artistes invités à participer à l’exposition « Myth Makers », une petite vingtaine est hongkongaise à l’image de la résilience de la scène artistique locale, également perceptible lors de la foire Art Basel Hong Kong [lire le JdA no 608, 29 mars 2023]. D’aucuns associent cette résistance artistique au succès du boys band Mirror, qui cultive son identité cantonaise en marge des canons de la K-pop. Quoi qu’il en soit, les mythologies queer mises en scène étaient ici toutes ancrées dans les cultures asiatiques pour mieux les « naturaliser » auprès du grand public et des autorités. À cet égard, Song of the Goddess (1992), vidéo d’Ellen Pau, revenait sur un épisode marquant de la mémoire collective hongkongaise : la relation amoureuse de deux chanteuses d’opéra cantonais (Yam Kim-fai et Pak Suet-sin), devenues stars du petit écran dans les années 1960 et désormais célébrées en tant que pionnières queer. Avec Farewell/Adieu (2015), Christopher Cheung, peintre natif de Hongkong installé en France depuis de nombreuses années, rendait hommage à une autre personnalité culte : l’acteur Leslie Cheung, connu internationalement pour son rôle dans le film de Chen Kaige Adieu ma concubine (1993) et qui s’est suicidé en 2003. Quant à pp (2022), installation multimédia de Samson Young commandée par la Fondation Sunpride, elle commémorait le Propaganda, célèbre club gay inauguré en 1991, année de la décriminalisation de l’homosexualité à Hongkong. Surnommé « pp », le club a fermé ses portes en 2016, mais d’autres lieux ont pris le relais…

 

Rémy Jarry, correspondant en Asie

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°609 du 14 avril 2023, avec le titre suivant : À Hongkong , un audacieux « coming out » queer

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