Célèbre pour ses portraits d’écrivains, Gisèle Freund est décédée dans la nuit du 30 au 31 mars, à l’âge de 91 ans. L’artiste d’origine allemande a été également pionnière dans la reconnaissance de la photographie.
PARIS - Des images les plus connues de Gisèle Freund, deux sont à l’opposé. La première, noir et blanc, immobilise André Malraux en mouvement, cheveux au vent, cigarette à la bouche. Dans la mémoire photographique, elle est immédiatement identifiée comme de Gisèle Freund. La seconde, couleur, a été vue par tous les Français, sans que souvent ils mettent un nom sur son auteur. Accrochée dans les lieux officiels pendant deux septennats, elle montre un François Mitterrand impassible devant un mur de livres. La séance de pose avait été difficile, racontait Gisèle Freund, le nouveau président était rigide. “Je savais qu’un de ses fils venait d’avoir un enfant. Est-ce une fille ou un garçon ? Il a sourit... J’ai appuyé”.
“Pour moi, seule compte la personnalité des êtres, confiait la portraitiste. Ce qui m’intéresse, c’est le visage, le regard, la bouche surtout. Parce que c’est ce qui donne le plus de caractère”. “La sociologie, la psychologie m’ont toujours passionnée”, disait encore celle qui, née à Berlin en 1908, y avait étudié la sociologie, avant de poursuivre ses études à la Sorbonne à Paris, où elle s’était établie en 1933 pour fuir le nazisme. Elle soutient sa thèse de sociologie en 1936, sur “la photographie en France au XIXe siècle”, et reçoit, parmi les compliments de ses auditeurs, ceux de l’écrivain et philosophe Walter Benjamin. Mais il faut vivre, et Gisèle Freund, que son père avait dotée d’un Leica, en fait son gagne-pain. Dès 1935, elle travaille avec les magazines Life, Weekly Illustrated et Paris-Match (un reportage sur les chômeurs dans le nord de l’Angleterre). Elle tente de se faire embaucher dans l’atelier de Man Ray, mais un salaire de misère lui est proposé. Elle entre comme assistante chez la photographe Florence Henri, mais refuse de retoucher ses portraits. On la met à la porte en lui disant qu’elle ne sera jamais une grande photographe. Prophétie vite démentie. Gisèle Freund fait bientôt la connaissance d’Adrienne Monnier, libraire-éditrice parisienne qui lui fait découvrir la fine fleur de la littérature. Elle côtoie ainsi Gide, Valéry, Colette, Aragon, Joyce, Bernard Shaw, et Virginia Woolf dont elle dévore les livres, tente de percer, puis de capter la personnalité. Cela donnera le portrait de Virginia Woolf, le regard songeur sous les sourcils levés, le front plissé, un des premiers portraits en couleur de l’époque. Son approche réaliste et sensible fait mouche. “Dans une société, jugeait-elle, on tente toujours d’avoir un masque. Cela rend difficile d’obtenir un bon portrait. Instinctivement, le modèle va tenter de poser tel qu’il voudrait être vu. Il veut se cacher d’une image qu’il trouverait négative”. Alors, face à ses modèles, Gisèle Freund parlait... de son séjour en Argentine pendant la Seconde Guerre mondiale, de ses reportages au Chili, ou en Équateur ; puis de son travail chez Magnum qui lui fera parcourir les deux Amériques, de 1948 à 1954 ; de ses photos d’Eva Peron luxueusement parée… Alors, les grands, les Giacometti ou Simone de Beauvoir oubliaient l’objectif, se laissaient aller à leur rêverie, se replongeaient dans leur travail. Gisèle Freund réussissait ainsi son pari : “montrer la personnalité à travers l’image et non l’image à travers la personnalité”.
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Gisèle Freund, le visage avant tout
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°103 du 14 avril 2000, avec le titre suivant : Gisèle Freund, le visage avant tout