PARIS
Enseignant à l’École du Louvre depuis 1982 et à l’École du patrimoine de 1987 à 1997, après dix années passées au service des Monuments historiques (1968-1978), Gilles Chazal a effectué toute sa carrière de conservateur au Petit Palais, à Paris, dont il assume la direction depuis mars 1998. Il revient sur les grands travaux effectués dans l’établissement qui s’apprête à rouvrir ses portes et commente l’actualité.
Après cinq années de travaux (pour 72 millions d’euros), le Petit Palais rouvre au public le 10 décembre. Quelles ont été les principales interventions architecturales ?
La rénovation était nécessaire, car nous avions un bâtiment centenaire qui devait connaître une mise aux normes de sécurité contemporaines. Le jardin intérieur s’était enfoncé et était fermé depuis 1995. Les verrières des galeries entourant le jardin étaient tellement fragilisées que des filets étaient installés en cas de chutes ! Le cabinet des architectes Chaix et Morel, choisis pour mener le chantier, a d’emblée cerné la qualité architecturale du bâtiment, sa modernité sous-jacente, malgré son aspect sombre et ses espaces restreints. Avec une apparence très historicisante, le Petit Palais donnait l’impression d’un bâtiment désuet et étouffant en conséquence d’une pollution progressive de l’espace depuis les années 1950, avec une accumulation d’œuvres et de cimaises dans des espaces de plus en plus petits. Aujourd’hui, le bâtiment, conçu par Charles Girault, a enfin retrouvé sa lumière originelle avec son axe lumineux est-ouest traversant tout l’édifice. Les volumes sont redevenus vastes, avec une grande aisance de circulation, de nombreux passages qui créent des effets visuels saisissants, depuis les jardins des Champs-Élysées entourant le bâtiment jusqu’au jardin intérieur du Petit Palais. Cette ouverture tout en perspectives, ce retour à la lumière naturelle et le rétablissement de grands plateaux de travail ont redonné au Petit Palais sa splendeur passée. La fermeture nous a permis de réaliser nombre de restaurations sur des œuvres en réserves, ainsi que des acquisitions importantes, notamment du XIXe siècle, sans oublier la création d’un auditorium. Les collections permanentes se déploient à présent sur deux niveaux de 5 000 m2.
Ces travaux vous ont permis de récupérer 2 000 m2 d’espaces. Quels sont les nouveaux partis pris muséographiques ?
Nous voulions des salles qui soient agréables et belles. Cette expérience de la beauté débouche sur l’intelligence du sens, c’est-à-dire que dans toutes les salles nous unissons peintures, sculptures et objets d’art d’une même époque pour donner la vision plus complète possible d’un moment de l’histoire de l’art. Un soin particulier a été porté au confort de visite avec des documents à disposition du public, des cartels très clairs, des endroits où se poser. Nous donnons à voir, mais aussi à penser. Par rapport aux dispositions des salles entre elles, nous avons proposé des confrontations qui ne sont pas habituelles : renonçant à un parcours chronologique, nous avons tenté de montrer des grands ensembles. Quand vous entrez dans le musée, vous vous trouvez dans un bâtiment de style 1900. Dans les premières galeries sont présentés des objets Art nouveau ainsi que des grands décors début de siècle qui ornaient l’Hôtel de Ville de Paris. Le XVIIIe siècle est présenté en tant que tel, mais aussi en tant que référence culturelle indispensable pour comprendre ce qui se passe en 1900. Le visiteur découvre ensuite les paysages en plein air, puis la modernité d’avant 1914, avec Gauguin, Cézanne ou Bonnard. Mais, pour cette dernière partie, notre parcours est limité car le Musée d’art moderne de la Ville de Paris [MAMVP], qui est né du Petit Palais, possède les collections fauves et cubistes. Il faudra un jour se pencher sur cette question pour que nous puissions présenter ici toutes les tendances artistiques en France avant la Grande Guerre…
Quelle est l’identité propre du Petit Palais ?
Le fait d’unir dans un même espace la peinture, les arts décoratifs et la sculpture est notre principale
caractéristique. Ce souci d’unir au maximum les arts est fondamental. L’auditorium viendra compléter cette approche multitechnique. D’autre part, comme je l’ai dit, le parcours n’est pas chronologique. Au rez-de-chaussée, par exemple, nous confrontons la Grèce et Rome à la Renaissance. Cela permet de démontrer, de manière très concrète, comment la Renaissance s’est inspirée du monde antique. Dans le même ordre d’idée, la peinture de genre ou de portraits du XVIIe siècle hollandais est confrontée à l’art français du début du XIXe siècle, qui s’en est largement inspiré. Par ces confrontations suggestives, nous proposons d’enrichir le regard et la réflexion.
Quelle est votre programmation d’expositions temporaires ?
Pour commencer, l’ouverture du bâtiment au public est une exposition en soi ! Les visiteurs vont se réapproprier ce véritable palais, avec ses décors, son jardin et des collections qui étaient de moins en moins visibles avant les travaux. Pour l’inauguration, nous avons aussi donné carte blanche au célèbre illustrateur britannique Quentin Blake, qui a choisi dans nos réserves une série de peintures, pastels et gravures des années 1900 autour du thème de la femme. Ces œuvres seront présentées entourées de ses propres dessins. Cette initiative rejoint notre volonté générale de montrer comment l’art ancien est source de stimulation pour le monde contemporain. On dit souvent aujourd’hui qu’il faut créer à partir de rien, mais en fait l’art naît de l’art, que ce soit par influence ou par opposition. Pour l’ouverture, nous exposerons aussi des photographies de ce chantier spectaculaire, ne serait-ce que pour montrer au contribuable où sont passés les 72 millions d’euros de travaux ! Ceux-ci ont été si impressionnants qu’on peut presque dire que c’est un nouveau musée qui ouvre au public. Pour 2006, nous préparons une exposition sur le Pérou préhispanique, puis, à l’automne, une manifestation sur nos collections de gravures de Rembrandt à l’occasion du quatrième centenaire de la naissance de l’artiste. En 2007, nous nous intéresserons aux peintres Sargent et Sorolla.
Comme tous les musées de la Ville de Paris, les collections permanentes du Petit Palais sont libres d’accès. Quel regard portez-vous sur la gratuité ?
Avec la gratuité, nous pouvons espérer que les visiteurs vont découvrir progressivement les salles sans se dire qu’il leur faut absolument rentabiliser leur billet ! De manière plus globale, nous nous situons sur les Champs-Élysées, avec des flux piétons que nous souhaitons voir se développer. Notre jardin intérieur, avec son café, représente un espace de liberté. Un promeneur sur les Champs-Élysées peut très bien entrer librement dans le musée, compléter sa visite avec le jardin, se dire qu’il va prendre une consommation et visiter une salle avant sa séance de cinéma… C’est ainsi que je perçois le musée, comme un lieu de vie, une sorte de chaleureuse maison de la culture, la plus largement fréquentée et partagée. Quant au manque à gagner lié à la gratuité, il faut trouver des solutions pour le combler. Concrètement, cela passe par une politique de mise à disposition des espaces, pour des soirées, séminaires, cocktails. Aujourd’hui, ce type de manifestation est devenu incontournable pour un musée.
Comment vous situez-vous par rapport aux autres musées de la Ville de Paris ?
Nous nous définissons comme un musée de la Ville de Paris à part entière. Nous sommes d’ailleurs son principal musée des beaux-arts. Les recettes réalisées au profit de Paris-Musées (équivalent de la Réunion des musées nationaux [RMN] pour ceux de la capitale) sont mises dans un pot commun. Nous sommes solidaires les uns des autres. Nous avons, au Petit Palais, des possibilités que tous les musées de la ville n’ont pas. Nos mises à dispositions d’espaces permettent ainsi à d’autres musées de financer leurs expositions temporaires.
Votre voisin le Grand Palais achève lui aussi sa rénovation. Qu’attendez vous de cet établissement ?
Au Grand Palais, les projets se suivent et se succèdent. Pour notre part, nous souhaitons simplement qu’il y ait le plus de vie possible dans toute cette zone. Nous sommes deux établissements complémentaires. Le public confond d’ailleurs souvent le Petit et le Grand Palais, et il faudrait réussir à dépasser cette confusion. J’espère que la rénovation va le permettre. Il faudrait aussi qu’il y ait une meilleure information pour le public se rendant dans chacun des lieux et plus de facilités piétonnes pour aller de l’un à l’autre.
Une exposition a-t-elle retenu votre attention récemment ?
Je voudrais évoquer Paris Photo [lire p. 25]. Avec cet événement, et le Mois de la Photo tous les deux ans, Paris, qui a été un lieu très important pour l’histoire de ce médium, redonne sa juste place à la photographie. Celle-ci fait malheureusement défaut à nos collections, mais, dans les salles d’expositions temporaires, nous essayerons régulièrement d’accompagner le Mois de la Photo. À l’automne 2007, nous proposerons ainsi une histoire de la photographie des origines à nos jours sur le thème de la femme, en nous appuyant sur une des plus belles collections au monde : celle de
Manfred Heiting, appartenant aujourd’hui au Musée de Houston.
Petit Palais, avenue Winston-Churchill, 75008 Paris, tél. 01 40 05 56 90
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Gilles Chazal, directeur du Petit Palais, à Paris
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°226 du 2 décembre 2005, avec le titre suivant : Gilles Chazal, directeur du Petit Palais, à Paris