Gilles Barbier - L’art comme potage

Par Manou Farine · L'ŒIL

Le 26 juin 2009 - 585 mots

Soit une patinoire en ellipse calée dans la salle carrée de la Villa Arson à Nice. Bien blanche, bien lisse la patinoire.

Gilles Barbier y a déposé des sculptures peintes, moulages en bonne et due forme de matières molles qu’il affectionne – banane, crotte, camembert, sperme, beurre, cerveau et nouilles – comme aplaties sous l’effet d’un dérapage. Des objets interfaces, ou « agents mouillants » choisis pour leur potentiel glissant, précise l’artiste dans un sourire gourmand. Autant de traces d’écarts ou de revirements de trajectoires, à l’image des stratégies disloquées mises en place par l’artiste depuis quinze ans.

« Je voulais faire des fusées »
Et en matière de trajectoires, Barbier s’y connaît, lui qui se plaît à multiplier outils, méthodes et pistes branchues pourvu que ça macère. Pourvu que ça infuse. « Aller d’un travail à l’autre ne prend pas forcément la forme d’une marche en avant, justifie-t-il, ça peut être une chute, une glissade, un ricochet, un effet de boitement. Et ce qui se passe entre les trajectoires se travaille autant que les trajectoires elles-mêmes. » Un goût zélé du process et du changement de perspective que Barbier fixe au début des années 1990 alors que, revenu d’une enfance au lointain Vanuatu – biberonnée à la BD mention côte Ouest – et d’une vocation futuriste contrariée – « je voulais faire des fusées » –, Barbier se fait artiste à Marseille. Très vite.
« Après les Beaux-Arts, où l’on me demandait de tout énoncer, de tout justifier comme si j’avais déjà 50 ans de travail derrière moi, je pouvais enfin faire ce que je voulais. C’est-à-dire n’importe quoi. » En brillant défenseur du genre, il imagine d’abord un jeu au sol, une « machine à produire » de l’art, quelque part entre damier et jeu de l’oie. Chaque jour, il lance les dés, déplace un petit bonhomme sur les cases et s’astreint aux commandements qu’elles énoncent. Parmi les contraintes, celles de la copie laborieuse des pages du Larousse illustré édition 1966. Il obéit à tout. « J’étais tout excité ; ça a réglé plein de choses et ça m’a aidé à ne pas me retrouver dans ma propre tête. Je voulais être hors de moi. » Viennent les clones, les méga-maquettes, histoires de flux, de tuyauteries, de conduits toujours irrigués par cette volonté inflexible et assoiffée de faire exploser les lignes et les catégories.

Le goût des mélanges
BD, littérature, science-fiction, sciences dures, molles ou science de l’information, tout est bon pour prendre acte de la pluralité des réels. Avec une autorité certaine et une singularité et une énergie d’adolescent érudit soignée en marge du petit monde parisien de l’art contemporain. Le processus décisionnaire s’est passé du damier, les trajectoires se sont faites mentales, burlesques, durailles et souvent offensives.
Dans son atelier attendent encore de grands dessins commencés l’année dernière, dans lesquels Barbier patouille des « soupes » à partir d’éléments repérés dans son propre travail. Dans une même marmite flottent par exemple un texte de Greg Egan, des acides aminés, une nouvelle de Kafka et pourquoi pas du fromage. Entre bilan indiscipliné et ragoût jouissif, de tels potages redisent une fois encore le goût de l’émulsion et du machouillage plutôt que celui de la ligne droite.

Biographie

1965 Naissance au Vanuatu (Nouvelles-Hébrides)

1989 Diplômé de l’École d’art de Marseille

1997 Biennale de Lyon

1999 Exposition au Santa Barbara Museum of Art, États-Unis

2005 Nominé du Prix Marcel Duchamp

2008 Espace Claude Berri, à Paris

2009 Force de l’art 02. Deuxième participation à l’événement

« La patinoire », Villa Arson à Nice et « Vraoum ! BD et art contemporain », jusqu’au 27 septembre 2009, La Maison rouge à Paris. www.galerie-vallois.com

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°615 du 1 juillet 2009, avec le titre suivant : Gilles Barbier - L’art comme potage

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