Au moment où les héritiers d’un soldat américain coupable d’avoir volé, en 1945, des œuvres du trésor de la cathédrale de Quedlinburg passent en jugement devant un tribunal fédéral à Dallas, un ancien capitaine de l’armée américaine est décoré par l’Allemagne pour s’être opposé, toujours en 1945, à l’expédition \" temporaire \" de 202 tableaux aux États-Unis.
DALLAS - Le 25 janvier, Jack Manning Meador (77 ans) et Jane Meador Cook (63 ans) ont plaidé non coupables de recel et de trafic d’œuvres d’art volées en 1945 par leur frère, Joe Meador, dans une grotte où les trésors de la cathédrale de Quedlinburg avaient été entreposés pour les préserver des bombardements alliés et du vandalisme.
Le lieutenant Joe Meador appartenait alors à une unité de l’armée américaine précisément chargée de veiller à la sécurité de ces trésors. Parmi les objets dérobés, un manuscrit du IXe siècle, entièrement écrit en lettres d’or et enrichi de pierreries, un livre de prières du XVIe siècle et plusieurs reliquaires constellés de pierres précieuses.
Mais de nouvelles informations sur la vie privée de Joe Meador font supposer que des trésors plus importants auraient été vendus dans la région de Dallas. En effet, le vétéran de la Seconde Guerre mondiale menait une double vie : tranquille propriétaire d’une quincaillerie durant la semaine, il fréquentait le week-end les milieux gay de Dallas, où d’anciennes relations ont raconté comment son butin de guerre décorait une garçonnière. Les enquêteurs qui suivent l’affaire depuis cinq ans sont aujourd’hui persuadés que Meador a vendu certaines pièces pour financer une double vie excédant les moyens d’un modeste quincaillier de province.
Après la mort de Joe Meador, en 1980, son frère et sa sœur ont vendu quelques objets, et évité un procès intenté par l’Allemagne en restituant à la cathédrale de Quedlinburg deux manuscrits médiévaux en échange de 2,75 millions de dollars. Par ailleurs, l’ex-lieutenant Meador, décidément récidiviste, était passé en cour martiale pour avoir dérobé des œuvres d’art en France, après la guerre. Mais les autorités françaises n’ont jamais réclamé le retour de ces œuvres ; elles ne se sont jamais non plus associées à une enquête sur les Meador.
Un geste en direction… des Russes
Toutefois, les vétérans américains de la Seconde Guerre mondiale ne sont pas tous suspects de pillages. Le gouvernement allemand vient de décorer Walter Farmer, un ancien capitaine de l’armée américaine. En 1945, celui-ci avait refusé d’obéir aux ordres de ses supérieurs lui enjoignant de soustraire les 202 tableaux de valeur qui étaient sous sa garde au point de rassemblement de Wiesbaden. Ces œuvres devaient être expédiées aux États-Unis pour un séjour "limité" – quoique de durée indéterminée –, en vertu d’un ordre militaire stipulant que les œuvres d’art en possession de l’Allemagne devaient être "confiées" en dépôt aux musées américains et restituées à l’Allemagne "lorsque celle-ci aurait reconquis le droit d’être une nation."
L’officier américain, redoutant que le gouvernement de son pays n’eût pas l’intention de rendre les toiles au musée de Berlin auquel elles appartenaient, rédigea alors le "manifeste de Wiesbaden", signé par vingt-quatre autres militaires chargés de veiller sur les œuvres d’art en Allemagne, demandant aux autorités américaines de ne pas se ravaler au rang des nazis que l’on jugeait alors pour le pillage des autres nations. Malgré cela, les toiles furent expédiées aux États-Unis.
Cependant, le "manifeste" réveilla les consciences, et diverses publications américaines, ainsi que de nombreux amateurs d’art, protestèrent à leur tour contre le déplacement des œuvres. Au point qu’en 1948, lorsque les tableaux furent exposés à la National Gallery de Washington, la controverse était si vive que l’Armée se hâta de les rapatrier à la Gemäldegalerie de Berlin.
Par ce geste, les autorités allemandes récompensent bien sûr la courageuse prise de position de Walter Farmer, mais elles visent surtout à montrer aux Russes qu’il existe, dans le cadre des restitutions d’œuvres d’art pillées durant la guerre, des précédents exemplaires qui ont triomphé des décisions politiques au plus haut niveau.
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GI pilleur, GI sauveur
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°23 du 1 mars 1996, avec le titre suivant : GI pilleur, GI sauveur