Ghislain Mollet-Viéville est à la fois agent d’art, collectionneur, expert près la Cour d’appel de Paris. Ses multiples casquettes lui permettent une large ouverture sur l’art d’aujourd’hui, même s’il reste fidèle à l’art minimal & conceptuel.
Vous êtes à la fois agent d’art, expert auprès des tribunaux, conférencier, critique d’art, collectionneur, comment définiriez-vous votre action, votre rôle auprès de vos diffèrents interlocuteurs ? Qui sont ces interlocuteurs ?
En fait l’appellation d’agent d’art, que j’ai créée, regroupe un ensemble d’activités professionnelles touchant à la communication et la gestion de l’art dans ses rapports avec notre société. Au départ, en 1975, c’est en alternative à la galerie traditionnelle que j’ai choisi mon appartement et ma collection d’art minimal & conceptuel, comme lieu de rencontres et de manifestations diverses. Là, j’organisais dans un cadre convivial, des débats qui m’ont fait rapidement prendre conscience que les réflexions sur l’art et ses réseaux m’intéressaient autant que les œuvres elles-mêmes.
Vous avez, à l’époque, développé de multiples actions autour de vos archives d’art minimal & conceptuel (articles, conférences, éditions, expertises, expositions...) largement ouvertes au public. Cette relation au public est-elle importante à vos yeux ?
Oui, dans cette optique j’ai constitué mes archives afin qu’elles deviennent aussi une source d’informations essentielles, à la disposition des conservateurs, des critiques, des collectionneurs et des professionnels les plus divers. Dans le même ordre d’idée, j’organise chaque année une vente publique intitulée « les avant-gardes » qui propose un grand nombre de catalogues et de livres d’artistes rares et épuisés. C’est parce que je suis très attaché au contenu réflexif de l’art, qu’en tant que membre de l’Association internationale des critiques d’art (AICA) j’écris des articles ou donne des conférences dans les universités, les institutions privées et publiques. J’y traite souvent des principes fondateurs de l’art minimal & conceptuel ainsi que des nouvelles positions d’artistes qui s’associent à des activités qualifiées de périphériques comme la mode, le design, l’architecture, les jardins, etc.
L’ouverture actuelle de la notion d’œuvre, le gommage des frontières entre ces différentes disciplines mais aussi l’importance du lieu de présentation et d’exposition des œuvres pour leur perception, ne posent-ils pas des problèmes spécifiques ? Comment les résoudre ?
La résolution de ces problèmes est en quelque sorte un challenge que j’intègre à l’art à travers ses pratiques et ses procédures. C’est justement là tout leur intérêt car, dans bien des cas, nous ne sommes pas en présence d’objets finis sur lesquels il n’y aurait plus à intervenir. Le contexte architectural mais aussi l’environnement social ou la configuration idéologique de leur époque sont impliqués dans le regard global que l’on porte aux œuvres. On ne peut pas ici évoquer tous leurs aspects, tant ils sont divers (voir l’article de Paul Ardenne, L’Œil n° 540), mais je dirais que c’est justement en fonction de cette hétérogénéité que je n’ai pas ouvert de galerie qui, trop souvent, piège l’art et son public dans ses murs et ses règles. J’ai préféré supprimer les contraintes d’exposition rattachées au cube blanc qui s’impose encore, quoi qu’on en dise, dans la plupart des lieux d’exposition de l’art.
Quels artistes défendez-vous ?
En tant que commissaire d’exposition indépendant, je me suis fixé pour but de révéler les démarches d’artistes qui proposent souvent à leurs interlocuteurs de participer à l’élaboration et à l’installation de leurs œuvres. Je suis alors un intermédiaire/prestataire de services qui met en scène, avec différents acteurs, des œuvres qui sollicitent divers points de vue pour leur présentation. J’ai souhaité aussi sortir de l’espace clos des musées et des galeries, cela me permet de mettre à jour des modalités de production, de diffusion et de perception d’un art sujet à des interprétations en cascade. Par exemple lors d’un vernissage commun des galeries de Beaubourg j’ai présenté l’œuvre de Lawrence Weiner IN AND OUT - OUT AND IN – AND IN AND OUT – AND OUT AND IN chez Picard Surgelés. Cette œuvre de ma collection était généralement inscrite, à mon initiative, sur une vitre (qui constitue la frontière idéale entre l’intérieur et l’extérieur) mais, pour cette manifestation, j’ai choisi de ne rien installer, ni de modifier l’espace et l’activité habituelle du magasin, si bien que IN AND OUT ne se révélait que dans les allées et venues des visiteurs de l’exposition qui entraient (IN) et sortaient (OUT) à la recherche vaine du produit tangible que leur procure généralement le marché de l’art.
Quels autres dispositifs utilisez-vous pour présenter ce type d’œuvres ?
Le contexte auquel cet art est lié m’a conduit à questionner les systèmes socio-économiques qui le sous-tendent à travers le travail d’artistes qui cherchent à désacraliser la notion d’objet d’art. Cela a pu prendre la forme d’annonces dans les affiches Galeries mode d’emploi.
Ensuite, alors que les galeries se plaignaient beaucoup des frais de production des expositions, j’ai proposé Sans transport, sans assurance, sans frais. Une invitation à actualiser des œuvres de Robert Barry, Sol LeWitt, Claude Rutault, Lawrence Weiner, Tania Mouraud. Ou encore, je posais aux amateurs d’art la question suivante : Quelle collection pour demain ? L’art tient moins à la nature conventionnelle de ses produits qu’à la façon dont il s’inscrit dans un contexte architectural, social ou idéologique. Aujourd’hui comment une collection peut-elle s’établir dans cette réalité plus vaste dont elle dépend ? Réponse sur rendez-vous.
Parfois il m’arrive de jouer les provocateurs quand je malmène certains collectionneurs-légumes ou quand je mets en exergue une formule de Jean-Luc Godard pour solliciter des réactions du milieu de l’art : « La culture c’est la règle et l’art l’exception. » Avec l’effet Jeff Koons, peut-on encore croire aux chefs-d’œuvre aujourd’hui ? Toutes ces propositions ont essentiellement pour but d’établir des contacts, de créer des passerelles entre des personnalités aux convictions et aux objectifs parfois très opposés. Je présente également en permanence une exposition qui n’est constituée que d’un classeur comprenant « les certificats, avertissements, copies, descriptifs, documentations, enregistrements, fiches techniques, procurations, etc., mis en jeu par l’art contemporain ». La question du statut de l’œuvre d’art, tant sur le plan matériel qu’intellectuel, se pose de plus en plus : quels sont ses éléments permanents, ceux qui peuvent être remplacés de façon standard ou selon les critères de leur temps ? Quelles sont les obligations du collectionneur lors d’une vente, ses engagements vis-à-vis des actualisations successives des œuvres ? N’oublions pas que le certificat/avertissement de Daniel Buren par exemple ne comporte qu’une seule signature : celle du collectionneur !
Comment articulez-vous ces activités avec vos fonctions d’expert ?
Lorsque j’ai été nommé expert près la Cour d’appel de Paris j’ai été passionné par les nouvelles responsabilités qui s’offraient à moi.
Globalement elles consistent à intervenir à titre amiable ou sur désignation judiciaire, dans des domaines qui concernent tout l'art du XXe siècle : recherche d'authenticité, estimations de collections, définition des indemnisations en cas de sinistre, aide à la réalisation de catalogues raisonnés, etc. Ce nouveau statut m’a entraîné dans des circuits très éloignés de mes préoccupations initiales ; d’ailleurs ma première affaire a consisté à mener une véritable enquête policière pour déterminer si un tableau de Bernard Buffet était authentique ou non !
La diversité de mes actions m’amène à jouer des rôles complémentaires et parfois antagonistes. Lorsqu’un Fonds régional d’art contemporain me demande de faire une estimation de sa collection, j’ai le devoir de refouler le critique que je suis pour ne prendre en considération que les prix officiels pratiqués par les galeries (ce qui n’est pas forcément probant d’un point de vue artistique). De même, il m’est arrivé de conseiller un jeune collectionneur intéressé par l’art conceptuel en faisant abstraction de ce que le marché de l’art aurait privilégié en matière d’investissement : à la dernière Fiac il n’y avait pratiquement aucune œuvre de cette tendance.
En fait, ce qui m’a toujours paru clair c’est que, parallèlement à l’esthétique de l’objet d’art, il y a une éthique de l’art. Les œuvres multimédias que l’on voit apparaître depuis un certain temps ne résultent pas seulement de l’association de plusieurs techniques ou de plusieurs disciplines, elles conduisent à la fusion de l’art et de la vie.
« L’art c’est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art » disait Robert Filliou. Pour ma part, je pense sincèrement que dans le même ordre d’idée – professionnellement ou simplement pour le plaisir – nous devrions pouvoir être libres de devenir les artistes de nos propres vies.
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Ghislain Mollet-Viéville : L’homme minimal & conceptuel
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°545 du 1 mars 2003, avec le titre suivant : Ghislain Mollet-Viéville : L’homme minimal & conceptuel